KORHOGO, UN RICHE HÉRITAGE CULTUREL À DÉCOUVRIR
KORHOGO, UN RICHE HÉRITAGE CULTUREL À DÉCOUVRIR
Dans cette troisième partie de notre reportage, nous mettrons en lumière le riche patrimoine culturel sénoufo, incluant ses richesses culturelles, légendaires et sociales.
Des femmes du quartier Petit-Paris en pleine préparation du beurre de karité, perpétuant un savoir-faire ancestral.
La randonnée en pays sénoufo
Une balade en pays sénoufo n’est jamais la même pour le touriste. Le visiteur arrive rarement dans cette région sans avoir pris ses repères au préalable.
Dans le quartier de Petit-Paris, surnommé la cité de la noix de karité, des femmes fabriquent une huile selon un savoir-faire transmis de génération en génération.
Si le Maroc est fier de son huile d’argan, Korhogo s’est fait une réputation avec son beurre de karité, dont les bienfaits sont reconnus dans le monde entier pour traiter la peau sèche, les foulures, les piqûres d’insectes, les vergetures, les irritations cutanées, et qui est riche en vitamine A.
À 12 km de Korhogo se trouve Sédiogo, un village où les femmes confectionnent des poteries avec une dextérité remarquable. Ces magnifiques œuvres d’art, façonnées dans l'argile, sont de véritables chefs-d'œuvre et constituent une Activité Génératrice de Revenus (AGR) pour ces artisanes, contribuant ainsi au développement économique local.
Ces femmes rurales, dotées d'une compétence innée, perpétuent des connaissances empiriques et un savoir-faire pragmatique transmis de génération en génération.
À une dizaine de kilomètres de là, vous serez séduit par les savoureuses et juteuses mangues des vergers du village de Ouolo. Cette sous-préfecture est considérée comme la capitale de la mangue dans la région du Poro.
Les vergers de Ouolo se distinguent par le fait qu'ils sont les premiers à annoncer l'ouverture de la saison des mangues dans la région. Pour la petite histoire, la mangue et l’anacarde seraient arrivées ensemble dans un même conteneur dans cette partie septentrionale de la Côte d'Ivoire.
Dans les années 70, le président Houphouët-Boigny, visionnaire, avait déjà anticipé la menace du changement climatique. Conscient de l’avancée du désert, le père de la Nation avait décidé d’introduire des arbres plus résistants aux aléas climatiques dans cette région.
Selon les ingénieurs agronomes consultés à l’époque, ces arbres pouvaient lutter efficacement contre ce phénomène inquiétant. Ils auraient conseillé au président d’introduire le manguier et l’anacardier dans cette zone boréale, à la fois pour amorcer le reboisement et pour combattre la déforestation.
Des tisserands en pleine séance de tissage dans le village de Waraniéné, perpétuant un savoir-faire ancestral.
Situé à 4 km de Korhogo, le village de Waraniéné est le bastion du tissage sénoufo. Tandis que les femmes filent des kilomètres de coton, les hommes, quant à eux, tissent, dans un véritable travail à la chaîne.
Aujourd'hui, plus de cinq cents tisserands perpétuent cette technique multiséculaire et héréditaire, insufflant ainsi une dynamique réelle à l’économie locale, en attendant la labellisation de cette production artisanale.
Waraniéné proviendrait de « Wakatchinnin oh nanYi » autrement dit « Il n’y a pas de fétiche de quelqu’un ici » ou encore « c’est une terre vacante ». Ce village agricole a été implanté dans le dernier tiers du 19e[UW5] siècle.
En plus du métier de tissage, le village abrite aussi la danse "Boloye" propre au pays sénoufo. Le "Boloye", ou danse de l'homme panthère, est une chorégraphie sacrée à la fois festive et funéraire. Selon les patriarches de Waraniéné, tout comme les hommes, les femmes ont également leur "Poro".
Ainsi, lorsqu'une femme initiée aux rites sacrés du "Boloye" décède, les danseurs viennent lui rendre hommage lors de ses funérailles. En revanche, lorsqu'un homme initié au "Boloye" décède, ce sont les masques et les danseurs qui lui rendent hommage immédiatement par des démonstrations chorégraphiques.
Chez le peuple Tiembara, lorsqu’une femme initiée au "Poro" meurt, les masques sont systématiquement appelés à se présenter, s’exhibant à travers des pas de danse et autres rituels ésotériques. Cependant, chez les Fodombélé une ethnie faisant partie du grand ensemble du peuple Sénoufo, la réalité est tout autre.
Un homme panthère, danseur du Boloye, en pleine prestation de la danse Wambèlè, symbole sacré et rituel du pays sénoufo.
Au terme d’une piste jalonnée de baobabs imposants, aux larges branches dénudées de leur feuillage, dans ce paysage savanien, on pénètre dans le « village-des-toiles » de Korhogo, Fakaha.
C’est ici que sont produites des milliers de toiles inspirées par la symbolique initiatique de la chasse et des masques, et vendues dans le monde entier sous le nom de « toiles de Korhogo ».
Fabriquées en version grand public, ces toiles décorent parfois les intérieurs aux quatre coins du monde, témoignant de l’artisanat riche et authentique de la région.
Le Tchapalo, l’une des commodités de réception
Le tchapalo est principalement produit dans le Nord de la Côte d'Ivoire et le sud du Burkina Faso.
Aussi bien dans les pays occidentaux que dans les pays africains, chaque civilisation s'est dotée, ou du moins s'est créée, des commodités de réception.
Vodka, champagne et autres boissons enivrantes servent d'apéritif lors de moments de retrouvailles et de convivialité. Il en est de même en pays sénoufo. Dans cette société fortement traditionnelle, une bière à base de mil appelée "Tchapalo" ou "Dolô" est fabriquée dans d'énormes marmites en aluminium. C'est une boisson amère et alcoolisée.
En pays sénoufo, on ajoute parfois du piment au mil lors de la fabrication pour en renforcer la saveur. Le goût devient alors redoutable, et l'effet presque insupportable pour ceux qui n’y sont pas habitués.
La première gorgée laisse souvent le consommateur perplexe, avec les yeux semblant vouloir s'extraire de leurs orbites. En cas d'ulcère d'estomac, il vaut mieux s'abstenir. Les amateurs de "Tchapalo" savourent souvent cet élixir accompagné de croustillants morceaux de porc frits à l'huile de beurre de karité.
Korhogo, une ville des légendes ou des mystères
Le mystère qui entoure l'héritage de Nanguin Soro vous enveloppe dès votre embarquement dans les voitures de transport en commun.
À peine sorti des interminables embouteillages matinaux de la capitale ivoirienne, des commerçants au discours flatteur surgissent, débitant des laïus effrayants sur diverses pathologies, assez pour vous glacer le sang.
Dans des spectacles dignes de one-man shows savamment orchestrés, et souvent empreints d'un humour noir, ces personnages, une fois l'attention des voyageurs captées, proposent discrètement des astuces pour soigner des maladies chroniques, reconquérir un amour perdu, ou se débarrasser des vices.
Par exemple, une de leurs "astuces" prétend guérir de la kleptomanie, en invoquant Hermès, le dieu grec protecteur des voleurs. Koné Souleymane, un vendeur de pharmacopée dans les automobiles, conseille ceci : « Si votre enfant est un grand voleur dès l'adolescence, il vous faut du courage.
Ce que je vais vous proposer exige de l'audace. Prenez une banane douce, attachez-y une feuille avec le nom de cet enfant. Ensuite, rendez-vous à la morgue et demandez à un agent des pompes funèbres de placer cette banane dans la main d'un cadavre pendant un jour.
Le lendemain, récupérez-la et faites en sorte que votre fils la mange devant vous. Assurez-vous qu'il la consomme entièrement. Ainsi, il ne volera plus jamais rien. Il sera guéri de ce vice. »
Si jamais l'envie vous prend de tester cette méthode, n'hésitez pas à nous en faire part pour que nous puissions vérifier la véracité de cette étrange théorie.
Dans le même ordre d'idées, une jeune fille sénoufo, une fois mariée, ne peut quitter son village natal ou Korhogo pour rejoindre la contrée de son époux sans accomplir un rituel particulier. Selon les habitants de Korhogo, avant son départ, les gardiens de la tradition placent une petite calebasse sous l'un des pneus du véhicule qui doit transporter la mariée. Le conducteur est alors invité à écraser la calebasse en roulant dessus. Ce n'est qu'après cette étape que la mariée peut prendre place dans le véhicule.
Ce sacrifice a pour but d'annihiler ou de conjurer toutes les mauvaises sortes susceptibles de s'abattre sur elle, comme l'instabilité du ménage, les querelles incessantes, ou encore, selon les devins, la stérilité. Mythe ou réalité ? Les croyances perdurent, laissant planer le doute sur ces pratiques ancestrales.
La règle d'or, en arrivant dans un village sénoufo, est de se laisser guider jusqu'au chef de village. Il est essentiel de faire allégeance à cette autorité coutumière, qui incarne à la fois l'humain et le divin, et à qui les habitants vouent une obéissance totale. Se plier à cette pratique coutumière est absolument indispensable.
Une fois installée, on vous offre de l'eau à boire. Avant de vous désaltérer, vous en versez un peu sur le sol en hommage aux ancêtres. Ensuite, vous délivrez les premières nouvelles rassurantes, du type : « Il n'y a rien de grave, nous sommes venus vous saluer. » Ce court discours, prononcé en Sénoufo[UW10] ou en français, est suivi d'échanges de poignées de mains.
Il est également de coutume d'offrir de petits cadeaux, tels que des bouteilles de gin ou de pastis, ainsi que quelques billets que l'on dispose à même le sol pour que tous les voient. Après ces gestes, vous énoncez clairement l'objet de votre visite.
Une fois ces étapes franchies, les portes du village vous seront grandes ouvertes, et vous aurez accès à un monde d'hospitalité et de trésors de gentillesse.
Si la nuit vous surprend à contempler le riche patrimoine culturel sénoufo, ponctuel d'événements rares et authentiques tels que les sorties de masques, les funérailles ou les fêtes d'initiés, le chef du village refusera de vous "donner la route". N'hésitez pas alors à passer la nuit au village. Le souvenir d'une telle nuit est inoubliable.
Quoi qu'il en soit, même avec un guide, ne pénétrez jamais dans un village sénoufo sans saluer le chef. Ne pas respecter ce principe sacro-saint peut être dangereux, voire irréversible pour les contrevenants. Selon la conscience collective, un Sénoufo reste profondément attaché à ses pratiques mystiques et occultes, qu'il soit musulman, chrétien ou adepte d'une autre religion.
Savez-vous que feu Monseigneur Koné Antoine, ancien évêque d'Odiénné, décédé en mai 2019, était le parrain de plusieurs promotions d'initiés au Poro ? Cela illustre bien l'ancrage des traditions sénoufo, même chez les figures religieuses.
Korhogo est une localité qui mérite d'être découverte. Elle séduit et émerveille chaque jour davantage. En pleine mutation, elle offre un contraste fascinant où tradition, modernité et ruralité s'entremêlent harmonieusement. Pour tout visiteur, Korhogo promet un séjour féérique et inoubliable, riche en expériences et en découvertes.
Patrick KROU, envoyé spécial dans la région du Poro.