KORHOGO, UNE VILLE DÉSORMAIS MODERNE

KORHOGO, UNE VILLE DÉSORMAIS MODERNE

26/11/2024 - 07:31
KORHOGO, UNE VILLE DÉSORMAIS MODERNE
KORHOGO, UNE VILLE DÉSORMAIS MODERNE

Dans cette deuxième partie de notre reportage, nous présentons le chef-lieu de la région du Poro et du District des Savanes, en pleine métamorphose. Cette transformation urbaine s'ouvre au cœur des traditions.

Vue aérienne de la ville de Korhogo. L’axe principal est la rue Tolbert, cet axe routier séparé les quartier Air France et Quartier 14.

Korhogo, ville-carrefour

 À 634 kilomètres d’Abidjan, au bout d'une autoroute à deux fois deux voies, s'étend la capitale de la région du Poro : Korhogo.

À l’entrée de la ville, sur la terre de Kpatarakaha s’étend le gigantesque stade Amadou Gon Coulibaly, couvrant une superficie de 20,17 hectares. Doté de 20 000 places assises sous des tribunes couvertes, il offre une aire de jeux en gazon naturel.

Dans une incursion au cœur de cette cité et on est subjugué dans un premier temps par le monument du 19 septembre 2008 à la mémoire du « Soldat inconnu » qui fixe le soleil levant, en face du siège de la mairie.

Éberlué également par le ballet incessant des vélos et des motocyclettes, à certains endroits, sans oublier l’étourdissement provoqué par le vacarme de leurs interminables conversations… tous ces désagréments créent malgré tout une impression de convivialité, rappelant les mille stress des capitales économiques africaines.

Dans ce « Korhogo » moderne, il est loisible de sentir l’hospitalité légendaire reconnue du peuple sénoufo. Il n’est pas rare non plus de voir des femmes se prélasser sur des engins à deux roues, avec des mômes ou nourrissons scotchés sur leur dos, maîtrisant avec assurance les subtilités de ces véhicules.

Elles slaloment avec hardiesse entre les grosses cylindrées, tout en côtoyant des tacots d’où s’échappent des fumées noirâtres et polluantes. Ces scènes vous envahissent de stress, faisant grimper votre taux de cortisol.

Aux premières lueurs du jour, des silhouettes en tenues kaki et bleu-blanc, parfois transportant jusqu’à cinq passagers sur une seule moto, se faufilent entre les deux-roues et tricycles pour rejoindre leurs établissements.

Selon les données issues des différents Recensements Généraux de la Population et de l'Habitat (RGPH) de Côte d'Ivoire, la population de Korhogo a évolué de manière significative entre 1960 et 2023 :

  • 1960 : Environ 60 000 habitants.
  • 1975 : Environ 80 000 habitants.
  • 1988 : Près de 110 000 habitants.
  • 1998 : La population atteint 174 000 habitants.
  • 2014 : 286 071 habitants selon le recensement.
  • 2021 : La population est estimée à environ 300 000 habitants.
  • 2023 : 440 920 habitants.

 

La courbe d'évolution de la population de Korhogo entre 1960 et 2023, basée sur les données issues des différents recensements généraux de la population et de l'habitat (RGPH) de Côte d'Ivoire. Elle illustre la croissance rapide de la population, avec des augmentations marquées, notamment après 1998, reflétant le développement urbain de la ville. (Source, données INS)

À Korhogo, le touriste est rapidement captivé par un spectacle des plus époustouflants. Au milieu des camions-remorques transportant des balles de coton bien au-delà de leur capacité, des individus sont minutieusement « classés » ou « rangés » comme des pions sur un damier.

Les plus spectaculaires sont ces véhicules couverts de bâche où les voyageurs sont entassés sur des marchandises ou sur des monticules de bagages. Et c’est dans ces conditions que l’on parcourt de longues distances pour venir s’abreuver au goût de la jovialité citadine de Korhogo. 

Aux abords de la Grande Mosquée, en plein centre-ville, vous croiserez des gamins, munis de boîtes et vêtus d'accoutrements frôlant l'indigence, psalmodiant des versets coraniques.

Ils interpellent les passants pour mendier, en précisant qu'ils ne demandent pas des pièces de monnaie, mais des billets de banque.

Des mendiants assis sous des parapluies de fortune sont alignés devant la façade de la Grande Mosquée de Korhogo

La capitale du Poro se modernise et c’est tant mieux ! Aux feux tricolores, des bolides, pour la plupart flambant neufs, démarrent sur les chapeaux de roue, faisant rugir leurs puissants moteurs qui couvrent le vacarme des cyclomoteurs. L’administration ivoirienne y est entièrement décentralisée.

La deuxième École de police du pays baptisée du nom ‘’École de Police Amadou Gon Coulibaly’’ y a été inaugurée en juillet 2020.

En outre, le touriste est ébaudi par la magnifique caserne des sapeurs-pompiers militaires qui donne un air de modernité au village de Waraniéné. Feux tricolores, aéroport, usine de transformation de l’anacarde, stade et cité Can, Université Péléro Gon Coulibaly, Centre hospitalier régional (Chr) sont autant d’infrastructures modernes qui marquent la volonté des autorités ivoiriennes d’impulser un développement accéléré à la capitale du District des Savanes. 

Dire que Korhogo se modernise est aujourd'hui une vérité de Lapalisse. D’ailleurs, dans la ville, des ‘’Garbadromes’’ (points de vente de garba – attiéké accompagné de poisson thon) poussent comme des champignons.

Et ce, au grand bonheur des amateurs de ce mets qui se retrouvent transportés directement à Abidjan.

Vue aérienne nocturne du stade Gon Coulibaly à Korhogo.

Sous la canicule, se dressent des avenues bitumées, larges et bordées de manguiers. Korhogo affiche une architecture pittoresque, avec de nouveaux bâtiments qui déploient fièrement leur prestance majestueuse et lustrée.

À l’instar des autres villes du pays, lorsque, à la fin de la journée, le soleil fatigué revêt son manteau crépusculaire, Korhogo devient à la fois majestueux et gracieux. Dans l’obscurité, d’énormes boules de feu et des enseignes lumineuses éclairent les habitations.

Pour les « Korhogolais » et les visiteurs avertis, Korhogo jouit de la réputation d’être une ville calme et paisible, à l'abri des critiques acerbes liées à la criminalité et à l’insalubrité.

La diversité des sensibilités et la cohésion sociale des populations autochtones, allochtones et allogènes se reflètent dans l’immense marché central, à la hauteur de l’ancien petit marché de Nianguinkaha , qui regorge de trésors d’artisanat. Au cœur de ce marché, parmi les œuvres du génie créateur du peuple sénoufo, se trouve un labyrinthe tracé par les boutiques.

Dans la bonne humeur, des artisans et des couturiers y produisent et vendent de magnifiques vêtements en textile tissé localement.

Si vous vous rendez dans un commerce ou un restaurant, un conseil : assurez-vous d’avoir de la monnaie pour payer l’addition. 

Sinon, la courtoisie qui vous a accueilli et convaincu de faire affaire ou de vous attabler risque de se transformer en une désagréable surprise.

Amoncelées dans des bassines à linge, les céréales (riz, mil, fonio, maïs et sorgho) sont détaillées par des vendeuses qui les mesurent à la tasse.

 Un échange cordial, un sourire ou même un mot du client suffit parfois à ajouter une mesure supplémentaire, appelée localement « dôni » qui signifie en Malinké « un peu » ou « gbassou ».

Sur les étals de fortune, on trouve des agrumes, des féculents (igname et manioc) ainsi que diverses cultures vivrières exposées.

Une myriade de mangues à coloration verdâtre, orangée et rougeâtre attire toutes sortes d’insectes, dont les plus perceptibles par le vrombissement de leurs ailes, sont les mouches et les abeilles.

Des femmes à l’ouvrage rappellent que l’espace sénoufo est un pays d’agriculteurs et avant tout d’hommes travailleurs. Les langues vantardes de Korhogo affirment que le peuple sénoufo serait même parmi les meilleurs de la région du Poro.

Dans les bas-fonds, les fouets sifflent sur les dos des zébus, des ânes et des mules, qui labourent avec agilité la terre rendue austère par un climat intolérable et des rayons du soleil qui entretiennent des températures qui oscillent entre 32 et 35°C.

Une fois à Korhogo, le touriste se familiarise avec trois caractéristiques principales : le soleil ardent (la canicule), le vent sec et la poussière.

Les taxis-motos, ‘’nouveaux seigneurs’’ du transport


À Korhogo, on ne peut prétendre découvrir en quelques instants les rues de ce pan culturel ivoirien.

Dans la mosaïque des taxis communaux, en voie de disparition, et des autres moyens de transport en commun, surgissent les taxis-motos. Une originalité empruntée au commerce avec les pays limitrophes.

À l'instar des "Zémidjan" du Bénin, les taxis-motos, avec leur typique couleur jaune ou des fanions jaunes délavés par le soleil, foisonnent et sillonnent les ruelles de la ville à la recherche de clients.

Avec une assiduité de sentinelles, ils se postent aux carrefours des grandes artères, devant les espaces publics et dans les venelles de quartier, attendant patiemment de potentiels clients.

Sans vergogne, ces motards poussent l’audace jusqu’à klaxonner ou à vous héler avec un geste de la main que vous n’arriverez même pas à identifier. Ils affichent des tarifs concurrentiels qui défient toute concurrence vis-à-vis des autres moyens de transport communautaire. Les tarifs varient en fonction des distances escomptées.

Toutefois, ils connaissent une légère hausse lorsqu’il est constaté une augmentation du prix de l’essence à la pompe. Les taxi-motos volent la vedette aux vélos naguère nombreux dans la capitale du pays sénoufo.

Entre 200 et 500 FCFA voire plus selon les distances, les ‘’nouveaux seigneurs’’ du transport sont les plus prisés des populations, parce qu’ils peuvent déposer le client « jusque dans sa chambre », pour peu que le passager soit exigeant et généreux.

Vivre à Korhogo aujourd’hui, c’est relativement se sentir dans les rues béninoises ou burkinabès où l’imprudence de ces ‘’chauffards sur deux roues’’ met en doute leur connaissance du code de la route, défiant ainsi les lois de la gravité.

Comme l’éructait un conducteur dans un soupir : « Ces Sénoufo, on les renverse ici à tout moment ! » Entre 2014 et 2019, selon les sapeurs-pompiers militaires de la ville, sur 7 298 interventions, 6 588 cas d'accidents impliquaient des engins à deux roues.

La même année, l'Office de Sécurité Routière (OSER) déplorait 261 accidents ayant causé 40 morts et 433 blessés, soit un taux de 0,12 mort par jour contre 1,75 au niveau national.

Les données de la Sous-direction des études, Service statistiques de l'OSER, pour l'année 2022 à Korhogo révèlent que 128 motos ont été impliquées dans des accidents, causant 11 morts, 147 blessés graves et 50 blessés légers.

Les véhicules personnels, quant à eux, ont provoqué 91 accidents, faisant 7 morts, 80 blessés graves et 25 blessés légers. Les taxis-villes ont été impliqués dans un accident, occasionnant 0 mort, 1 blessé grave et 0 blessé léger.

(Voir ci-après un tableau illustrant les véhicules impliqués dans les accidents sur la période 2022 à Korhogo). 

Type de véhicule

Nombre d'accidents

Nombre de tués

Nombre de blessés graves

Nombre de blessés légers

Moto

128

11

147

50

Personnel des véhicules (VP)

91

7

 80

25

Camionnette

9

2

 6

3

Taxi-ville

1

0

 1

0

Minibus

2

2

 1

0

Autocar (>22 places)

3

2

 0

8

Poids lourd

5

1

 28

0

Autre

4

0

 12

1

Total

243

25

 275

87

Cette répartition met en évidence que les motos et les véhicules personnels sont les plus impliqués dans les accidents, avec également un grand nombre de blessés graves, tandis que d'autres catégories comme les poids-lourds et les bus ont moins d'accidents mais causent souvent des conséquences plus graves.

Voici l'histogramme représentant la répartition des véhicules impliqués dans les accidents, ainsi que les tués, blessés graves et légers à Korhogo en 2022. Les différentes catégories de véhicules sont comparées en fonction des quatre critères indiqués.


Les ‘’Dozo’’, une force de sécurité paramilitaire
[UW7]  ?

Hormis les forces de l’ordre — le 4e Bataillon d’infanterie, la 4e Légion de Gendarmerie mobile — ainsi que des unités du Centre de Coordination des Décisions Opérationnelles (CCDO) et même la vidéosurveillance, la ville de Korhogo dispose de sa propre force de sécurité : des forces paramilitaires.

Des hommes, fusil de calibre 12 à l’épaule, vêtus d’apparats traditionnels et coiffés de chapeaux tachetés à triple cornes, arborent des amulettes sur la poitrine en guise de grades et sont chargés de la surveillance des biens et des propriétés privées.

Leur mission a été dévoyée depuis les crises successives qu'a connues la Côte d'Ivoire. À l'origine, ces hommes étaient des chasseurs traditionnels, chargés de protéger les grands royaumes de la boucle du Niger et de soigner à l'aide de plantes médicinales.

Aujourd'hui, les Dozos constituent une force paramilitaire qui traque les délinquants, les braqueurs et les coupeurs de route. « Je préfère la garde des Dozos parce qu'ils sont armés de fusils, un moyen de dissuasion, contrairement aux vigiles des sociétés de gardiennage qui n'ont que des gourdins et des bâtons », confie un gérant d'hôtel, devant lequel des chasseurs Dozos sont en faction.

D'après la Direction Générale de l'Administration du Territoire (DGAT), sous la tutelle du ministère de l'Intérieur et de la Sécurité, ce sont l'Association Dozo Binkadi de Mankono, le Conseil National de la Confrérie des Chasseurs Dozos Traditionnels Binkadi Vadougou de Côte d'Ivoire et la Fédération Nationale Dozo de Côte d'Ivoire qui ont déposé un dossier de demande d'agrément.

À ce jour, leur demande n'a toujours pas abouti. Le président de la Fédération des Confréries Dozos de Côte d'Ivoire (FENACODO-CI), Dosso Sory, que nous avons rencontré à son siège à Abobo, nous a confié que son organisation regroupe 200 000 Dozos répartis sur l'ensemble du territoire national.

En Côte d'Ivoire, dit-il, les Dozos n'ont toujours pas de reconnaissance légale ni de régime juridique spécifique applicable à leur statut.

Des chasseurs Dozo lors d’un rassemblement, portant fièrement leurs tenues traditionnelles.

 

(À suivre...)

 

 
Patrick KROU, envoyé spécial dans la cité du Poro.