Profession détective : quand compétence, crédibilité et discrétion font loi

Profession détective : quand compétence, crédibilité et discrétion font loi

13/12/2024 - 10:18
13/12/2024 - 10:20
Profession détective : quand compétence, crédibilité et discrétion font loi
Profession détective : quand compétence, crédibilité et discrétion font loi

La discrétion avant tout : chaque enquête est un équilibre entre compétence et confidentialité.

Assis au comptoir d’un bar lounge, où je patientais en attendant qu’une source me livre des informations sur un sujet qui me torturait les méninges, je scrute les clients et clientes qui vont et viennent.

Un loufiat me sert un café que je touille nonchalamment. Dans un coin, deux silhouettes quinquagénaires s’esbaudissent en sirotant deux cocktails. L’une d’elles est ostensiblement remarquable. 

Ses formes callipyges sont mises en valeur par une robe fleurie surmontée d’un décolleté affriolant qui « ferait renoncer un prêtre catholique à ses vœux ». Fixant l’entrée principale, ces deux quadragénaires scrutent les allées et venues dans la lumière tamisée.

On aurait volontiers subodoré qu’elles attendent un prince charmant qui passerait la soirée à lorgner la poitrine généreusement mise en avant.

Puis, un mystérieux homme entre dans l’enceinte et se dirige illico presto vers les deux dames. Je n’ai pas le temps de remarquer son visage, dissimulé par un grand chapeau fedora.

Il s’approche et baragouine quelques mots à l’oreille de Jeanne, nom que j’ai capté en épiant leur conversation enjouée. Le temps d’un battement de cils, le mystérieux personnage dépose une grande enveloppe kraft marron A4 qu’il glisse vers son interlocutrice. 

À son tour, Jeanne lui remet une enveloppe blanche autoadhésive A6. Je devine immédiatement qu’il s’agit d’un échange de marchandises. Alors que je m’évertue à analyser ce geste troublant entre un ‘’acheteur’’ et un ‘’vendeur’’, l’homme file à l’anglaise sans demander son reste.

Je braque aussitôt mon regard perçant sur l’énigmatique colis. Jeanne déchire l’enveloppe, puis, se levant brusquement, son instinct prenant le dessus, elle pousse un cri strident dans une hystérie indescriptible, se tenant la tête entre les deux mains.

Bouffie de colère, Jeanne déverse tout le contenu sur sa comparse. Cette dernière, visiblement désolée mais nullement surprise, se jette aussitôt sur son smartphone dernier cri, scrollant quelques secondes avant de passer un coup de fil. « Marie, je te disais que Pierre me trompait et tu osais le défendre, non ? 

C’en est fini ! Je vais demander le divorce à ton frère », hoquette Jeanne à sa belle-sœur, qui ne dit pas un mot pendant ce monologue enflammé. Le mot « divorcer » résonne en écho dans mon esprit.

Qui est donc cet homme aux allures de Peter Falk, l’inspecteur Columbo de la série américaine des années 70 ? La réponse à ma préoccupation ne tarde pas à tomber comme un couperet sur ma tête. « J’ai loué les services d’un détective privé pour enquêter sur mon mari », lâche Jeanne dans un soupir à son amie.

Le détective privé, également appelé agent de recherche privé ou enquêteur privé, est un professionnel ou une personne offrant ses services à des particuliers ou des entreprises pour mener des enquêtes à titre privé. En Côte d’Ivoire, ce métier n’est pas formellement reconnu.

Toutefois, ces acteurs, souvent considérés comme « hors-la-loi », le pratiquent de manière informelle, puisque la demande existe et est parfois élevée. Cette profession évolue donc dans un vide juridique, sans aucun cadre légal.

« Ce métier est pourtant noble, apportant une aide précieuse aussi bien aux particuliers qu'aux entreprises. En Europe, aux États-Unis, et dans d'autres pays occidentaux, il fait partie intégrante des systèmes judiciaires. Par exemple, un avocat peut recourir à un cabinet d'enquête pour obtenir des informations manquantes sur certains dossiers.

Cependant, en Côte d'Ivoire, ce n'est pas encore le cas », déplore Balliet Fernand, président de la Chambre nationale des détectives privés et enquêteurs professionnels de Côte d'Ivoire (CNDPEP-CI). Cette organisation professionnelle est née en 2019 et s’est formalisée en 2020, conformément à la loi de 1960 relative aux associations.

Son objectif est de promouvoir la professionnalisation de ce métier en Côte d'Ivoire, de mettre en place un cadre juridique, et de former les acteurs du secteur, afin d’apporter crédibilité, savoir-faire et savoir-être au service de la population. De cette structure est également issu l’Ordre des détectives privés et enquêteurs de Côte d’Ivoire (ODEPP-CI). La création de cette seconde entité est le résultat de querelles de leadership au sein des différents acteurs de la profession.

Quel est le rôle des détectives privés dans les affaires de la vie quotidienne, et comment influencent-ils la société dans des domaines comme l'infidélité et la fraude ? La problématique centrale est donc de trouver un équilibre entre le droit à la vérité pour les personnes faisant appel à des détectives privés et la protection de la vie privée des individus surveillés, tout en veillant à ce que les détectives respectent les cadres légaux et éthiques de leur profession.

La problématique centrale est donc de trouver un équilibre entre le droit à la vérité pour les personnes faisant appel à des détectives privés et la protection de la vie privée des individus surveillés, tout en veillant à ce que les détectives respectent les cadres légaux et éthiques de leur profession.

 Le métier de détective privé bel et bien pratiqué sans cadre légal inexistant en Côte d'Ivoire

 En Côte d’Ivoire, le métier de détective privé est pratiqué dans la clandestinité. Certes, l’on a conscience de son existence, mais il n’est pas codifié. Il n’existe pas de cadre légal pour le régir. C’est le constat que déplore certains acteurs de ce métier. Selon Balliet Fernand, président de la Chambre nationale des détectives privés et enquêteurs professionnels de Côte d'Ivoire (CNDPEP-CI), cette structure qu’il a été créée entre 2019 et 2020, vise à obtenir la reconnaissance des autorités compétentes ivoiriennes.

La CNDPEP-CI a pour objectifs principaux de promouvoir la professionnalisation de ce métier en Côte d'Ivoire, la mise en place d'un cadre juridique, et la formation des acteurs, afin d’apporter crédibilité, savoir-faire et savoir-être au service de la population. De retour dans son pays, ce gestionnaire de risque - Risk manager, après avoir passé 26 ans en Europe, décide de rentrer.

Dans son attaché-case, sa spécialité en risques en entreprise, comme les fuites de données, qui constituent une menace pour celles-ci (on parle généralement de d’intelligence économique), Balliet Fernand croit exercer son métier dans les règles de l’art. Que nenni ! Sa déception est grande qu’il constate qu’un vide juridique existe dans ce secteur, dans lequel, il entend faire carrière en Côte d’Ivoire.

« J'ai intégré l'École Supérieure des Agents de Recherche Privés de Paris (ESARP), une école qui forme les détectives privés et agents de recherche privés en France. D'autres institutions comme l'Université Paris II, l'école de Montpellier et l'Université de Nîmes offrent aussi ce type de formation. Une fois diplômé, je suis revenu en Côte d'Ivoire et j'ai essayé de voir si ce métier y existait.

J'ai vite réalisé qu'il n'était pas reconnu officiellement. Certains le pratiquent de manière informelle, mais il n'y a aucun cadre légal clair pour ce métier ici», se désole ce formateur en risque. Puis, le directeur fondateur du cabinet d'investigation privée et gestion des affaires (CFMS &Management) poursuit : « Ce métier est pourtant noble, apportant une aide précieuse aussi bien aux particuliers qu'aux entreprises.

En Europe, aux États-Unis, et dans d'autres pays occidentaux, il fait partie intégrante des systèmes judiciaires. Par exemple, un avocat peut recourir à un cabinet d'enquête pour obtenir des informations manquantes sur certains dossiers. Cependant, en Côte d'Ivoire, ce n'est pas encore le cas.

Pour Diaby Ousmane, directeur d'enquête au service d'enquête et d'investigation privée de Côte d'Ivoire (SEIP-CI), le vide juridique dans notre domaine pose un problème de crédibilité et de l’existence légale et juridique d’exercice.

« Nos rapports peuvent être contestés en justice. Par exemple, si vous présentez un rapport avec l'en-tête d'un détective privé, la partie adverse peut le rejeter car ce n'est pas encore réglementé. Le juge pourrait ainsi ne pas le considérer comme une preuve officielle », se plaint le vice-président de la CNDPEP-CI.

En France, le métier de détective privé nait en 1833 quand Eugène François Vidocq, considéré comme le père putatif de cette profession, ouvre son premier cabinet de détective privé appelé ‘’Bureau de renseignements pour le commerce’’. Tour à tour, révèle le site français Village de la justice, bandit, bagnard, indicateur, puis chef de police, il devient détective privé.

C’est sous l’ère de la monarchie dont le régime libéralise les échanges commerciaux. Vidocq y voit une opportunité d’épauler les entreprises dont les préoccupations essentielles sont la concurrence déloyale, les débiteurs partis sans laisser d’adresse et la veille économique. Les premières bases juridiques du métier sont établis en 1900. La loi du 27 juillet de la même année, contraint les « agences de renseignements privés à se déclarer en préfecture pour exercer.

Il s’agit là d’une autorisation préfectorale sommaire délivrée sans aucune contrepartie », précise toujours le site français. En 1942, après une centaine d’années d’errance législative, apprend-t-on, l’État (sous le Régime de Vichy) pose les premières bases de la profession... en interdisant aux juifs de l’exercer.

Il faut attendre 1977 pour que le détective privé se classe par décret dans les professions libérales. En 1980, la loi du 29 décembre modifie celle de 1942 et les professionnels du renseignement se voient nommés officiellement « Agent de Recherches Privées ».

Actuellement, la France offre un cadre légal assez impressionnant dans la pratique du métier de détective privé notamment la loi du 12 juillet 1983 qui renforce la sécurité privée en mentionnant vaguement l’existence des agents de recherches privées au titre des activités privées de surveillance ?

La loi de mars 2003 (dite Sarkozy) est complétée par un Titre II dans le Code de la sécurité intérieure, et consacre ou pense consacrer, le statut d’Agent de Recherches Privées comme la profession libérale réglementée consistant

« pour une personne, à recueillir, même sans faire état de sa qualité ni révéler l’objet de sa mission, des informations ou renseignements destinés à des tiers, en vue de la défense de leurs intérêts », article L621-1. Ensuite, l’instauration à la date du 10 juillet 2012 du Code de déontologie des détectives créé par le décret n° 2012-870.

Le 27 octobre 2014, lit-on sur le site Village de la justice, ce Code de déontologie est intégré dans la partie règlementaire du Code de la sécurité intérieure [2] et précise les contours de l’activité avec par exemple l’article R631-9 [3] relatif à la confidentialité.

La clef de voûte de tout cet arsenal est la création du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), établissement public administratif sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Ce conseil a été porté sur les fonts baptismaux en 2010 par la loi LOPPSI 2, mais n’est entré en vigueur qu’en janvier 2012. Son rôle est d’assurer l’application effective du Code de déontologie.

Signalons que Kate Warne est la première femme détective privée aux États-Unis, elle a travaillé pour l'agence Pinkerton et a été une pionnière dans le domaine.

Les acteurs du métier de détective privés s’organisent...

En l’absence d’un cadre légal pour réglementer leur secteur d’activité, les acteurs du métier se sont organisés. Dans leur volonté de professionnaliser ce corps de métier, une assemblée générale extraordinaire a vu la mise en place de la Chambre nationale des détectives privés et enquêteurs professionnels de Côte d'Ivoire (CNDPEP-CI). Cette faîtière regroupe tous les détectives privés détenteurs de documents administratifs. 

S’appuyant sur le modèle français, cette structure, selon les acteurs, s’est doté d’un code d’éthique et de déontologie. Pour le président du CNDPEP-CI, l’instauration de ce code vise la réglementation et professionnalisation. Balliet Fernand soutient qu’il est essentiel de légiférer cette profession pour garantir que ceux qui la pratiquent soient formés et crédibles. D’où la nécessité pour ses pairs d’intensifier la formation et d’obtenir l'accréditation pour les détectives.

Dans la quête de l’obtention d’un cadre juridique propice à l’exercice de leur métier, une querelle de leadership a plombé l’élan de cette lutte. En juillet 2024, un groupe dissidents créé l’Ordre des détectives privés et enquêteurs de Côte d’Ivoire (ODPECI).

Nos coups de fil incessants pour rencontrer Akpalé Yoroba Serge, le président élu en juillet dernier à la tête dudit ordre n’ayant pas pu aboutir, nous n’avons pas pu obtenir les raisons de cette dissidence. Toutefois, sur le terrain, cet ordre des détectives privés et enquêteurs est souvent critiqué pour son manque de légitimité juridique.

Le terme "Ordre" utilisé par cette organisation suggère une reconnaissance officielle par l'État, ce qui n’est pas le cas, tranche dans le vif, Diaby Ousmane. « En l'absence de reconnaissance formelle, l'ODPCI se trouve en porte-à-faux, ce qui complique la régulation du métier et la crédibilité de l’organisation », assène le vice-président du CNDPEP-CI, l’autre faction originelle. Le président Balliet Fernand, lui, est plus explicite sur la question.

Si ces tensions au sein de la profession sont nées, déduira-t-il, c’est parce que certains y voyant une opportunité de carrière plutôt qu'un engagement envers la professionnalisation et la régulation. « Les dissidents m’ont proposé de quitter la présidence pour me concentrer sur la formation, ce que j’ai refusé, leur affirmant que j’étais engagé dans un objectif plus grand : la régularisation et la professionnalisation du métier », martèle le président du CNDPEP-CI. 

Respect des limites légales : un métier en plein essor mais légalement limité

Formé pour l’investigation : des connaissances solides en droit et des techniques d’enquête sophistiquées

La profession de détective privé en Côte d'Ivoire connaît une évolution rapide, marquée par une demande croissante liée à la mondialisation et à l'essor économique du pays. Cependant, cette croissance pose des questions fondamentales sur l’éthique et la régulation du secteur.

Rencontré dans le cadre de ce dossier, N'guessan Martial, agent d'affaires judiciaires agréé, a soulevé plusieurs questions concernant le statut des détectives privés en Côte d'Ivoire. Selon lui, cette profession n'a pas encore de cadre légal bien défini. Il n'existe ni loi ni décret encadrant leur activité, contrairement aux professions telles que celles des avocats ou des notaires.

Les détectives privés doivent donc se conformer aux mêmes lois générales que tout citoyen, notamment en matière de respect de la vie privée et du droit à l'image. Cependant, en l'absence d'un cadre juridique spécifique, ils n'ont aucune protection légale particulière.

Et cela, les enquêteurs ivoiriens en sont conscients, le reconnaissent-ils à l’unisson. Le vide juridique dans leur secteur d’activité, ne signifie pas libertinage. Ils se réfèrent constamment aux lois sur la vie privée, et marchent sur des œufs quand il s’agit de mener une action. Parce qu’il faut faire attention à la l’atteinte à la vie privée.

« La réglementation est en place. Il existe des règles, ce qu'on appelle la déontologie du détective privé. Il y a une éthique et un code moral à respecter. Un détective privé ne peut pas accepter n'importe quel type de mission », précise Diaby Ousmane. Il ajoute qu'il suit une méthodologie propre à son métier, qui comporte plusieurs étapes essentielles pour mener à bien une enquête.

Tout d'abord, il y a la consultation initiale, qui consiste en une discussion préliminaire avec le client afin de recueillir des informations sur l’affaire. Ensuite, vient l’analyse du dossier, permettant au détective de définir la stratégie à adopter et d'évaluer la faisabilité de l'enquête en tenant compte des lois en vigueur et des ressources disponibles.

Après cette étape, le détective entame une phase de recherche d'informations, au cours de laquelle il mène des investigations approfondies pour rassembler des données pertinentes. Cela peut inclure la consultation de bases de données publiques, la recherche en ligne ou la collecte de documents officiels.

Puis, vient l’étape de la surveillance, durant laquelle il observe discrètement afin de récolter des preuves ou des informations. Cette surveillance peut inclure la filature de personnes, la prise de photos ou de vidéos, etc. Ensuite, il procède aux entrevues avec des témoins potentiels ou des personnes liées à l'affaire, dans le but d'obtenir des informations supplémentaires. Ces entrevues doivent être menées avec discrétion pour éviter de compromettre l'enquête.

La collecte de preuves consiste à rassembler des éléments documentaires, photographiques ou vidéos susceptibles d’appuyer les conclusions de l'enquête. Le détective doit veiller à ce que toutes les preuves soient obtenues légalement.

Enfin, l'enquête se conclut par un rapport, qui fournit au client un compte rendu détaillé des résultats. Ce rapport peut inclure les preuves recueillies, les conclusions tirées et, éventuellement, des recommandations.

Par exemple, Diaby Ousmane explique que si quelqu’un sollicite un détective pour enquêter sur une tierce personne, avec laquelle il entretient une relation sans document légal, cela peut poser un problème. Si le détective accepte ce type de mission, il s’expose à des ennuis sérieux.

Il faut donc qu’il y ait une légitimité et une légalité derrière la demande. Par exemple, si vous êtes légalement marié et avez des doutes sur la fidélité de votre femme, vous pouvez engager un détective privé pour mener une enquête.

Mais cela est possible uniquement parce que la démarche est à la fois légale et légitime. Si vous souhaitez accuser votre épouse d’infidélité, il vous faudra des preuves, et le détective peut vous aider à les obtenir. Dans ce cas, la demande est justifiée par le lien conjugal et pourrait être acceptée sans trop de risques pour le détective, car le commanditaire est le mari.

Cependant, si vous n’avez aucun lien formel avec la personne, mais seulement une relation occasionnelle, et que vous menez une enquête, cela peut constituer une atteinte à la vie privée. Dans ce cas, vous risquez de gros ennuis, y compris la prison », avertit Diaby Ousmane.

Il nuance ensuite ses propos : « S’ils ont un enfant ensemble, la démarche peut être légitime. Le père peut demander une enquête de moralité dans le cadre d’une demande de garde, pour vérifier si la conduite de la mère est appropriée. Dans ce cas, il devra fournir des preuves pour soutenir ses allégations. Le détective peut alors mener l’enquête dans le but de vérifier la moralité de la mère, car cela peut être nécessaire pour la procédure judiciaire.

Il faut toujours se poser la question : pourquoi le mari veut-il mener cette enquête ? Est-ce légitime ? Si les deux sont mariés légalement ou s’ils ont un enfant ensemble, c’est légitime. De même, s’il envisage de l’épouser et souhaite une enquête de moralité avant le mariage, cela peut également être justifié. Il veut simplement s’assurer de la moralité de la personne avant de s’engager. Mais attention, cela a des limites. Une enquête de moralité ne signifie pas qu'il faut aller chez elle pour la photographier à son domicile. Il est possible de la suivre pour connaître ses lieux de fréquentation et ses activités, mais il y a des frontières à ne pas franchir.

De son côté, le président Balliet insiste sur l'importance de la légalité (le fondement juridique) et de la légitimité (la justification morale ou éthique) d'une action, évoquant la notion de proportionnalité de l'action. « Un bon enquêteur est d'abord un juriste, ou du moins quelqu'un qui possède une solide connaissance du droit, car chaque affaire repose sur des règles légales précises », affirme le président du CNDPEP-CI. Il reconnaît que les méthodes d'investigation ne suivent pas de techniques universelles. « Chaque dossier est unique, et la stratégie d'enquête doit être adaptée aux besoins spécifiques et aux circonstances. »

Il illustre son propos par un exemple simple : celui d'une « banane à récupérer ». La méthode à employer (qu'il s'agisse d'utiliser un vélo, une moto, une voiture ou un camion) dépendra de la quantité de bananes à transporter. Cet exemple symbolise la nécessité d'adapter les techniques en fonction des contraintes propres à chaque dossier.

L’art de l’adaptation : chaque enquête est unique, nécessitant des stratégies sur mesure et une approche méthodique.

 

Les détectives privés utilisent une gamme d'outils technologiques et techniques pour mener efficacement leurs enquêtes. Les douze outils les plus courants sont :

1. Équipement de surveillance ( caméras cachées)

2. Traceurs GPS

3. Outils d'écoute électronique

4. Drones

5. Logiciels d'enquête numérique

6. Outils d'investigation informatique (Forensique)

7. Bases de données spécialisées (Accès aux registres publics)

8. Outils de surveillance des véhicules (balises GPS : Dispositifs de suivi que les détectives peuvent placer discrètement sur un véhicule pour surveiller ses mouvements).

9. Outils de détection des écoutes clandestines (Détecteurs de microphones cachés)

10. Outils de communication sécurisés (Téléphones cryptés)

11. Lunettes et stylos espions (Des gadgets discrets comme des lunettes ou des stylos avec caméras intégrées permettent de capturer des images ou vidéos sans éveiller les soupçons).

12. Applications d'analyse d'images et de vidéos (Des logiciels permettent d'analyser des images ou des vidéos pour extraire des détails précis, par exemple en améliorant la qualité d'une image floue ou en identifiant des visages).

Dans l’exercice de leur métier, les détectives utilisent trois types de sources : les Sources Blanches, les Sources Grises et les Sources Noires. Les Sources Blanches désignent les informations disponibles publiquement, accessibles sur les réseaux sociaux et autres plateformes ouvertes au grand public. Les Sources Grises regroupent les informations recueillies auprès de l'entourage immédiat et de l'environnement personnel des personnes concernées. Enfin, les Sources Noires se réfèrent aux informations obtenues par des moyens illégaux ou douteux, comme des documents obtenus de façon non autorisée. L'utilisation des Sources Noires comporte un risque élevé de poursuites judiciaires.

Les détectives privés, tout comme les journalistes, ne sont pas toujours tenus de révéler leurs sources. Cela permet de préserver la confidentialité des informations obtenues et protège l'identité des personnes ayant fourni ces renseignements.

En cas de violation des droits d'une personne lors d'une enquête, ces détectives s'exposent aux mêmes sanctions que n'importe quel citoyen. Leur responsabilité civile et pénale peut être engagée. Par exemple, les preuves obtenues de manière frauduleuse, telles que des photos prises en violation de la vie privée, peuvent être rejetées.

« Les règles du droit privé, comme le droit à l'image et le respect de la vie privée, doivent absolument être respectées. Par exemple, lorsqu'un détective privé est mandaté par un client pour une filature, comme dans le cas d'une cliente qui soupçonne son époux d'infidélité, il peut être amené à prendre des photos. Cependant, ces photos ne doivent pas être prises en violation du droit à l'image ni en violation du droit à la vie privée. Si, par exemple, vous suivez quelqu'un et que cette personne entre dans une propriété privée, il serait illégal de franchir une clôture, d'entrer chez elle et de prendre des photos, car cela constituerait une atteinte à la vie privée. », explique l’agent N’guessan Martial.

L’agent d'affaires judiciaires agréé révèle une affaire notable impliquant un détective privé : l'affaire Narcisse Dozo. Narcisse Dozo, ancien président de l'ODPCI (Ordre des Détectives Privés de Côte d'Ivoire), a été impliqué dans un litige judiciaire contre le ministère public. Bien que les détails spécifiques de cette affaire ne soient pas largement diffusés, il a été interpellé pour des accusations graves, dont des malversations et extorsions de fonds. Cette affaire a conduit à son arrestation et à sa mise en détention.

Diaby Ousmane, directeur d'enquête au Service d'enquête et d'investigation privée de Côte d'Ivoire (SEIP-CI), attend avec impatience que la profession de détective privé soit légalement reconnue.

 Les interventions des détectives privés dans les affaires de la vie quotidienne

Les détectives privés s’occupent de divers types d’affaires, que le président Balliet divise en deux grands groupes. Les affaires économiques et professionnelles concernent principalement les entreprises et les professionnels. Elles incluent l’intelligence économique (la collecte, l’analyse et le traitement d’informations pour aider les entreprises à mieux comprendre leur marché, leurs clients ou leurs concurrents), la concurrence déloyale (non seulement entre entreprises, mais aussi entre entreprises et salariés, lorsque ces derniers créent des activités parallèles en concurrence avec leur employeur), ainsi que le droit du travail (les litiges entre entreprises et salariés, par exemple en cas de non-respect des contrats de travail).

D’autre part, il y a les affaires privées et familiales, qui relèvent des dynamiques familiales et personnelles. Cela comprend l’autorité parentale et la garde des enfants (souvent en cas de divorce, pour décider qui aura la garde ou pour des questions liées au paiement des pensions), ainsi que les affaires conjugales, généralement liées à des soupçons d’infidélité, bien que ce terme soit rarement utilisé dans un cadre professionnel. Les enquêtes de moralité sont également fréquentes, commente le président Balliet, notamment pour vérifier les fréquentations d’une personne avant un mariage ou en cas de comportement inhabituel, souvent à la demande d’un parent ou d’un futur époux.

Bien que, pour le commun des mortels, ce métier puisse sembler une sinécure, les détectives privés affirment avec véhémence qu’il s'agit d'une profession qui requiert des connaissances solides. Pour viser la crédibilité vis-à-vis des autorités, le détective Balliet insiste sur l’importance d’apparaître crédible, tant aux yeux des autorités que du public, afin d’obtenir une légitimation officielle. Pour y parvenir, souligne-t-il, un programme de formation a été mis en place au sein de son cabinet, afin de garantir que ceux qui exercent ce métier soient compétents et disposent d'une formation adéquate.

Tout candidat doit justifier d’un niveau d’études de bac+, idéalement en droit ou en droit des affaires. Il est également recommandé de s’engager dans la formation continue pour rester compétent dans le métier. Même après l’obtention d’un diplôme initial, insiste-t-il, il est essentiel de continuer à se perfectionner. Une spécialisation est aussi nécessaire dans les domaines de la recherche d’informations, des enquêtes, et des enquêtes criminelles.

L’adaptabilité est une valeur intrinsèque majeure pour garantir la polyvalence requise dans cette profession. Balliet rassure que la formation ne soit pas exclusive aux forces de l’ordre : « Avoir une formation en enquête ne signifie pas devenir policier ou gendarme », martèle-t-il.

Enfin, un contrat de confidentialité signé par les deux parties (le détective privé et le client) est essentiel. Ce document formalise l’engagement de chaque partie à maintenir la confidentialité, et en cas de non-respect, des recours légaux peuvent être envisagés.

Le rôle social des détectives privés en Côte d'Ivoire

Malgré l’absence de cadre juridique propre aux détectives privés et les limites légales, les acteurs s’efforcent de respecter les lois en vigueur, notamment en matière de mariage et de droit des personnes (respect du droit à la vie privée). Par exemple, les détectives privés, disent-ils, ne mènent des enquêtes sur des cas d'infidélité que si les personnes sont légalement mariées, car la loi impose aux époux des obligations de fidélité, ce qui offre une base légale pour l'enquête.

Le directeur d’enquête, Diaby Ousmane raconte une anecdote qui, pour lui, met en évidence l’importance d’une décision éthique dans l’exercice de cette profession au-delà de la mission qui se résume à respecter la déontologie, l'éthique et la moralité du métier. Il dit avoir été contacté pour une mission concernant l’infidélité présumée d'un mari. Lorsque la cliente, enceinte après une longue période d'infertilité, raconte-t-il, a demandé une enquête sur son mari, Diaby a choisi de ne pas poursuivre la mission. Conscient des risques pour la santé de la cliente et son futur enfant, le détective a préféré orienter la cliente vers un soutien psychologique plutôt que de s'engager dans une enquête qui pourrait exacerber son stress.

Ce choix, révèle-t-il, motivé par un souci d’éthique et de responsabilité, a non seulement préservé la santé de la cliente mais a également permis de maintenir une relation positive avec elle. Cette décision est un exemple de la façon dont un détective privé peut jouer un rôle crucial en conseillant ses clients et en prenant en compte les implications humaines et psychologiques de ses actions.

En ce qui concerne l'impact sur l'économie et les entreprises, les détectives privés affirment jouer un rôle crucial dans la prévention des fraudes commerciales et financières. Ils collaborent avec des entreprises pour mener des enquêtes sur des employés ou des partenaires commerciaux suspects. Dans le cadre de l'intelligence économique, les détectives privés assurent l'anticipation et la veille concurrentielle pour leurs clients.

Selon le directeur d'enquête Diaby Ousmane, dans la guerre des opérateurs de paiement mobile, marquée par l'arrivée de Wave, qui a proposé un taux de 1 % sur les transactions, l'opérateur historique, Orange Côte d’Ivoire aurait dû baisser ses frais à 1 % avant même l'arrivée de ce nouveau concurrent. Cette stratégie aurait permis de limiter l'attrait du nouvel entrant, car les clients n'auraient pas eu de raison de changer de service, étant déjà satisfaits avec un taux de 1 % chez l'opérateur leader. Il s'agit là d'une stratégie d'anticipation, où il est essentiel de prendre des décisions avant l'arrivée d'un concurrent pour limiter son impact. Ainsi, souligne-t-il, l'importance de la veille stratégique, qui consiste à surveiller en permanence les mouvements du marché et des concurrents.

Micro-trottoir : L’opinion des Ivoiriens sur les détectives privés

Pour mieux comprendre la perception des détectives privés en Côte d'Ivoire, nous avons interrogé plusieurs citoyens dans les rues d'Abidjan. Voici leurs réactions face à ce métier souvent méconnu.

  •  

Fodé Jean, 32 ans, employé de bureau :

« Les détectives privés existent mais je ne connais pas leur travail. »

« Je sais que les détectives privés existent, mais je ne connais pas vraiment leur travail ici en Côte d'Ivoire. Je suppose qu'ils aident les gens à résoudre des problèmes personnels, mais je ne sais pas s'ils sont très populaires ici.»

 

Diaby Fatou, 45 ans, commerçante :

« J’ai déjà entendu parler des détectives privés. »

« Oui, j’ai déjà entendu parler de détectives privés, surtout pour les affaires de couple. Moi, si j’avais des doutes sur mon mari, je ferais appel à eux pour savoir la vérité. C’est mieux que de rester dans l’incertitude. »

 

Alley Patrick, 28 ans, étudiant :

« J’ai des doutes sur le fait que les détectives privés respectent la vie privée. »

« Je pense que les détectives privés peuvent être utiles, mais j’ai des doutes sur le respect de la vie privée. Est-ce qu’ils peuvent vraiment suivre des gens sans que ce soit illégal ? Ça me fait un peu peur.»

 

Zokou Marie, 39 ans, juriste :

« Les détectives privés sont utiles mais attention au respect des droits.»

« C’est un métier utile dans certains cas, mais il doit y avoir des règles strictes. Il ne faut pas que n’importe qui puisse espionner quelqu’un sans conséquences. Le respect des droits et des libertés est très important.»

 

Koffi Alain, 50 ans, entrepreneur :

« Je ferais appel à un détective privé si j’avais des soupçons... »

« Moi, je ferais appel à un détective privé si j'avais un gros problème dans mon entreprise, par exemple des soupçons de vol ou de fraude. Mais il faut s'assurer qu’ils travaillent dans la légalité. »

Une pancarte d’un détective privé installée au carrefour du pont en direction de Djorogobité 1.

Limites et défis éthiques du métier de détective privé en Côte d'Ivoire

Bien que des problèmes éthiques et légaux persistent et ouvrent la boîte de Pandore, notamment en matière de dérives liées à la surveillance illégale et à la collecte abusive de preuves, il convient de noter une certaine concurrence avec les forces de l’ordre. Interrogé sur les relations entre les détectives privés et les forces de l’ordre, le Commissaire Divisionnaire Oura Kouamé Alain a été catégorique : « Actuellement, nous faisons face à une situation où la collaboration avec les détectives privés est inexistante et non définie. Il est évident qu'il y a un manque de communication entre ces détectives et nos services de police.

En matière de recherche de preuves, que ce soit en pénal ou en civil, il est essentiel de respecter les règles générales du droit commun. La contribution des détectives privés semble avant tout destinée à répondre aux besoins de leurs clients, sans pour autant établir de lien officiel avec nos activités. » L’ancien commandant de l'Unité de lutte contre le racket insiste : « Je tiens à préciser que, personnellement, je n'ai jamais travaillé avec des détectives privés. Leur activité, qui peut parfois sembler proche des pratiques de renseignement, est perçue comme ayant une certaine dimension subversive. De plus, je n’ai aucune connaissance de leurs rapports ni de l’impact concret de leur travail sur nos enquêtes. »

 

Les défis du métier en Côte d’Ivoire

De nombreux obstacles constituent le talon d’Achille de cette profession : manque de réglementation stricte, vide juridique, absence de reconnaissance officielle, et absence de bases de données accessibles, entre autres. Le principal défi réside dans l'absence d'un cadre juridique clair pour la profession d'agent de recherche privée (ARP). Ce manque de législation spécifique complique la reconnaissance officielle de cette activité et empêche l'établissement de procédures standardisées pour encadrer la profession. Un cadre juridique permettrait de définir les conditions nécessaires pour être reconnu en tant qu'ARP et faciliterait la délivrance d'agréments officiels par une autorité compétente.

 

Le métier de détective privé, bien qu'essentiel dans certains domaines tels que la prévention des fraudes, l'intelligence économique ou la collecte de preuves, évolue dans un cadre encore flou en Côte d’Ivoire. L'absence de réglementation stricte et de reconnaissance officielle limite l'encadrement de cette profession et peut entraîner des dérives, notamment en matière de surveillance et de protection des droits individuels. Toutefois, avec une meilleure législation et une collaboration plus claire avec les forces de l'ordre, les détectives privés pourraient jouer un rôle plus transparent et efficace, tout en respectant les normes juridiques et éthiques nécessaires à l'exercice de leur fonction.

 

Patrick KROU

 

Encadré 1

 

Comment savoir si l'on est suivi dans la rue ?

Il peut être difficile de savoir avec certitude si vous êtes suivi dans la rue, mais certains signes peuvent indiquer que vous faites l'objet d'une surveillance :

Comportement inhabituel
Si une personne semble vous suivre en prenant le même itinéraire que vous, cela peut être suspect. Soyez particulièrement vigilant si cette personne se trouve fréquemment derrière vous.

Changements de direction fréquents
Si vous changez de direction plusieurs fois et que quelqu'un fait de même à chaque fois, cela pourrait être un signe de suivi.

Rencontres répétées
Si vous croisez régulièrement la même personne à différents endroits, cela peut indiquer qu'elle vous suit.

Utilisation des reflets
Observez les reflets dans les vitrines, les miroirs des magasins ou autres surfaces réfléchissantes. Si vous repérez la même personne à plusieurs reprises dans ces reflets, cela peut être un indice.

Présences inhabituelles
Soyez attentif aux personnes qui semblent ne pas avoir de raison évidente d'être dans les lieux où vous les croisez, ou qui agissent de manière suspecte.

Ressenti de malaise
Si vous ressentez un malaise ou un sentiment de suspicion, faites confiance à votre instinct. Si quelque chose vous paraît anormal, mieux vaut rester vigilant.

 

 

Encadré 2

 

Comment reconnaître un détective privé ?

Reconnaître un détective privé peut être difficile, car ils sont formés pour rester discrets. Cependant, certains signes peuvent vous donner des indices sur leur présence :

Tenue discrète
Les détectives privés s'habillent souvent de manière ordinaire et neutre, sans attirer l'attention. Ils portent des vêtements passe-partout, évitant tout signe distinctif.

Observation discrète
Un détective privé peut éviter de fixer directement la personne qu'il surveille tout en gardant un œil sur son environnement. Il peut se placer dans des endroits stratégiques où il peut observer sans être remarqué.

Utilisation de dispositifs électroniques
Un détective privé peut porter des écouteurs, utiliser un smartphone ou des appareils de communication discrets pour rester en contact avec des collègues ou pour prendre des notes sur la situation.

Changements de direction fréquents
Si une personne change de direction ou d’itinéraire lorsque vous le faites, cela pourrait indiquer qu'elle vous suit. Toutefois, ce comportement peut aussi avoir d'autres explications, donc il est important d'observer plusieurs indices avant de tirer une conclusion.

Observation prolongée
Si une personne vous observe de façon répétée sur une longue période et dans différents endroits, cela peut être un signe de surveillance.

Apparence professionnelle
Certains détectives privés peuvent porter une tenue plus formelle ou professionnelle, surtout s'ils doivent se fondre dans des environnements spécifiques comme des bureaux ou des événements.

Comportement vigilant
Une personne qui paraît constamment attentive à son environnement, regardant fréquemment autour d’elle, et essayant d’éviter d'attirer l'attention peut être un détective en train de surveiller.

Ces signes, pris isolément, peuvent ne pas être suffisants pour identifier un détective privé, mais une combinaison de plusieurs comportements inhabituels pourrait indiquer leur présence.