MILIEU CARCERAL EN CÔTE D’IVOIRE : L’IMPACT DE LA DÉTENTION SUR LA VIE QUOTIDIENNE DES DÉTENUS
MILIEU CARCERAL EN CÔTE D’IVOIRE : L’IMPACT DE LA DÉTENTION SUR LA VIE QUOTIDIENNE DES DÉTENUS
Dans cette troisième partie de notre dossier, nous présentons des témoignages sur l’impact de la détention sur la vie quotidienne des détenus, qui affecte plusieurs aspects fondamentaux, notamment la santé physique et mentale, les relations familiales, ainsi que les perspectives de réinsertion sociale. Nous présenterons également les réformes et les solutions proposées par le gouvernement pour améliorer le milieu carcéral en Côte d’Ivoire.
I-TÉMOIGNAGES
A/ Pulchérie Édith Gbalet, PCA d'Alternative Citoyenne Ivoirienne (ACI) et ex-détenue de la MACA, s'exprime :
Après avoir été arrêtée et détenue à la Maison d'Arrêt et de Correction d'Abidjan (MACA) à deux reprises, en août 2020 et en août 2022, Pulchérie Gbalet a été témoin de nombreuses injustices en prison. Dans le cadre de ce dossier sur les conditions de détention et les droits des détenus, cette ancienne pensionnaire des geôles ivoiriennes partage son expérience sans détour ni langue de bois. Incisive, Pulchérie Gbalet n'hésite pas à dénoncer la corruption et les activités lucratives illégales menées par une mafia qui règne dans les prisons ivoiriennes.
Pulchérie Gbalet dénonce les activités lucratives illégales qui se déroulent au Pôle pénitentiaire d’Abidjan (PPA).
Que proposez-vous pour une meilleure prise en compte des droits des détenus et du respect des conditions de détention ?
En matière de droits judiciaires, le ministre de la Justice devrait veiller à ce que chaque détenu ait droit à un avocat et mettre fin aux détentions préventives abusives.
Concernant les conditions de détention, il sera nécessaire d'améliorer la qualité de la nourriture, de fournir de l'eau potable, de faciliter l'accès aux soins, notamment en cas de nécessité d'évacuation, de résoudre le problème de la surpopulation carcérale par le respect de la présomption d'innocence et la construction de nouvelles prisons, et de créer les conditions pour que les gardiens respectent les prisonniers.
Enfin, il sera primordial de créer une structure chargée d'évaluer périodiquement les conditions de détention.
Quels programmes de réhabilitation ou d’éducation proposez-vous pour éviter la récidive ou la radicalisation en milieu carcéral ?
Il faut mettre en place un programme adapté aux besoins des prisonniers, qui devrait être élaboré à partir d'une étude, ou à défaut, d'une enquête auprès des détenus. Mais d'après nos observations, il est nécessaire de prévoir :
- des aires de sport pour favoriser une variété d'activités physiques ;
- une bibliothèque bien fournie avec la possibilité de commander des livres ;
- des ateliers de formation technique dans des métiers qui facilitaient la réinsertion des prisonniers ayant un faible niveau d'études ou sans formation ;
- le renforcement des activités religieuses, parfois interdites, bien qu'elles contribuent à la rééducation des prisonniers.
Quelles sont vos propositions pour l’amélioration du système ou de la politique carcérale ?
Toutes les propositions ci-dessus doivent être prises en compte. Cependant, il est essentiel que ceux qui se font dans les prisons cessent de les transformer en centres d'affaires. Comme mentionné précédemment, il est nécessaire de créer une structure capable d'évaluer le système carcéral. Cette structure devrait être composée d'organisations de la société civile, d'organisations religieuses et de représentants de l'administration pénitentiaire. L'implication de structures non étatiques garantirait des propositions objectives et constructives.
Un autre problème est que certains gardiens gèrent des boutiques à l'intérieur des prisons, ce qui limite l'entrée de certains produits et oblige les détenus à les acheter à des prix plus élevés. À l'intérieur, tout est plus cher, sauf l'eau, qui est vendue au même prix, car l'eau fournie par la prison n'est pas potable. La majorité des prisonniers se voit donc contrainte de consommer de l'eau minérale, qui est déjà plus coûteuse que l'eau du robinet, que la plupart des gens boivent à l'extérieur, notamment celle fournie par la SODECI. À la MACA, l'eau provient d'un forage, et après avoir souffert de diarrhées, certains prisonniers finissent par s'y habituer. Les prix des produits à l'intérieur des prisons sont souvent multipliés par trois par rapport à ceux de l'extérieur.
Propos recueillis par Patrick KROU
B/Panel/Milieu carcéral et impact psychologique sur les détenus : des psychologues africains s’expriment...
Yéri Doli, psychologue (Burkina Faso) :
En tant que psychologue burkinabé travaillant avec des détenus, j'observe quotidiennement les effets dévastateurs de l'enfermement sur leur santé mentale. Beaucoup de dépression, exacerbée par les conditions de détention souvent insalubres et le manque de soins de base.
La surpopulation carcérale ajoute à cette détresse, créant une atmosphère de stress permanent. Il n'est pas rare de voir des troubles maniaco-dépressifs ou des accès de colère fréquents parmi les détenus. Le manque de contact avec leurs proches accentue encore leur sentiment d'abandon, renforçant leur isolement émotionnel et leur mal-être psychologique.
Bien que des programmes de soutien existant pour les mineurs, ces efforts sont insuffisants pour répondre aux besoins de l'ensemble de la population carcérale. Le personnel pénitentiaire, malgré quelques formations en psychologie, n'est pas suffisamment outillé pour gérer ces problèmes complexes. Il est urgent de mettre en place des comme la classification des détenus en fonction de leur personnalité et l'introduction d'activités sportives régulières pour maintenir un équilibre psychologique minimal.
La réhabilitation psychologique des détenus est essentielle pour leur réinsertion post-carcérale. Elle leur permettra de regagner confiance en eux et de reconstruire un projet de vie, tant sur le plan familial que professionnel, facilitant ainsi leur réintégration dans la société.
Boungouendji Seventh, psychologue clinicien et psychopathologue (Gabon) : « Les conditions de détention précaires suscitent la haine et la colère chez les détenus. »
En tant que psychologue clinicien et psychopathologue, je rencontre régulièrement des détenus confrontés à des sentiments de regret et de culpabilité, souvent associés à une profonde dévalorisation narcissique.
Ces émotions sont exacerbées par une perte d'estime de soi liée à leur situation de privation de liberté. En plus de cela, les conditions de détention, particulièrement insalubres et marquées par une extrême négligence sur le plan hygiénique, aggravent leur mal-être, entraînant parfois des maladies cutanées. Certains détenus développent alors des sentiments de haine et de colère.
Pour s'adapter à cet environnement hostile, certains recourent à des mécanismes de défense tels que la manipulation, le mensonge ou encore le vol, comme stratégies de survie. Beaucoup de souffrance de dépression, d'anxiété, voire de traumatismes sévères. Le manque d'affection et le sentiment d'abandon amplifient leur isolement psychologique. Bien qu'il existe des programmes d'accompagnement, ceux-ci sont souvent insuffisants, car principalement gérés par des associations ou ONG, sans un réel soutien de l'État.
Il est crucial, selon moi, de mettre en place une équipe pluridisciplinaire pour accompagner ces détenus. Cela inclurait des psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux et éducateurs spécialisés, en particulier pour les mineurs. Un tel accompagnement permet aux détenus de construire un projet de réinsertion sociale et professionnelle, en stimulant leurs mécanismes de résilience pour une meilleure réadaptation post-carcérale.
Dr KC, psychologue et spécialiste de l’incarcération (Côte d’Ivoire) :
En tant que psychologue spécialiste de l'incarcération en Côte d'Ivoire, je constate chaque jour à quel point la santé mentale des détenus est gravement affectée par leurs conditions de détention. L'incarcération elle-est même un événement traumatisant, qui crée une souffrance psychologique profonde.
Ce stress est particulièrement intense chez les détenus en détention préventive, qui vivent dans l'incertitude constante de leur avenir. Contrairement aux condamnés qui connaissent la durée de leur peine, les prévenus subissent une anxiété permanente, aggravée par les conditions carcérales. La surpopulation dans nos prisons est dramatique. Les détenus vivent dans des espaces réduits, privés d'intimité, ce qui accroît les tensions et exacerbe les troubles psychiques. Malheureusement, il n’existe pratiquement aucun accompagnement pour ces personnes vulnérables. Ce manque de soutien psychologique laisse les détenus livrés à eux-mêmes dans un environnement où la violence et la promiscuité dominante.
L'isolement, le manque de soins médicaux et une alimentation souvent insuffisante aggravent encore plus la détresse psychologique des détenus. Ils développent des signes de dépression, des pensées suicidaires, des insomnies et parfois même des hallucinations. Dans de nombreux cas, ces troubles restent non pris en charge, ce qui conduit à des incapacités psychosociales : les prisonniers perdent leur aptitude à interagir socialement et à prendre soin d'eux-mêmes. Bien que des programmes de soutien existants, leur mise en œuvre reste très limitée. Le personnel socio-éducatif est souvent insuffisamment formé pour répondre à la spécificité des besoins des détenus, et les ressources financières accordées sont dérisoires. Le peu de soutien disponible ne suffit pas à répondre à la gravité des problèmes psychologiques rencontrés dans nos prisons. Il est impératif que des mesures plus robustes soient mises en place pour améliorer la santé mentale des détenus, tant pour leur bien-être en détention que pour leur réinsertion sociale future.
Propos recueillis par Patrick KROU
II-LES RÉFORMES, EFFORTS GOUVERNEMENTAUX ET SOLUTIONS POSSIBLES
Sansan Kambilé, ministre de la Justice, assure que des réformes sont en cours pour améliorer les conditions de détention en Côte d'Ivoire.
Le gouvernement ivoirien a annoncé plusieurs réformes pour améliorer la situation carcérale. Pour en savoir davantage, nous avons adressé deux requêtes. L’une en date du 26 septembre 2024 adressée à Mme Yra Élise épouse Ouattara, Magistrat et chef de cabinet au ministère de la Justice et des Droits de l’Homme, par ailleurs point focal CAIDP (Commission d’accès à l’information d’intérêt public et des documents publics). Au terme de la loi n°n°2013-873 portant accès à l’information et aux documents d’intérêt public, en vertu de l’article 11 : « Toute personne qui souhaite accéder aux informations et aux documents publics présente une requête écrite à l’organisme concerné dans laquelle elle décline son identité et sa qualité », nous lui avons adressé notre requête afin d’obtention des informations et de documents sur les conditions de détention et des droits humains des prisonniers en Côte d’Ivoire. Nous avons précisé avoir des réponses à ses questions suivantes :
1-Quelle est la position du gouvernement ivoirien sur les conditions actuelles des prisons et les critiques des organisations internationales ?
1. Quelles réformes sont actuellement en cours pour améliorer les conditions de détention en Côte d'Ivoire ?
2. Y a-t-il des projets spécifiques visant à réduire la surpopulation carcérale ?
3. Comment le gouvernement envisage-t-il de renforcer la formation du personnel pénitentiaire pour garantir le respect des droits humains ?
4. Quelle est la politique du gouvernement concernant la détention provisoire prolongée ? Quelles mesures sont prises pour réduire ce phénomène ?
5. Quelles sont les initiatives pour encourager la réinsertion sociale des détenus après leur libération ?
6. Comment collaborez-vous avec les ONG pour améliorer les conditions de vie dans les prisons ?
7. Le gouvernement a-t-il prévu d'augmenter le budget alloué aux infrastructures pénitentiaires et aux programmes de réhabilitation ?
Cette loi stipule que le point focal dispose d'un délai exceptionnel de 15 jours pour traiter cette requête. Ainsi, après un échange par SMS, Mme la chef de cabinet nous a informés qu'elle était en congé mais qu'elle traiterait notre requête avec diligence. Toutefois, le délai institutionnel de 15 jours ayant expiré le 11 octobre 2024, et jusqu'à la publication de ce dossier, nous n'avons reçu aucune information.
Concernant la direction de l’administration pénitentiaire, nous avons adressé deux requêtes à son directeur Célestin Doheuly Kamin, à la même date (26 septembre 2024) et la requête a été réceptionnée le même jour par ses services. La première requête mentionnait notre volonté de bénéficier d’une d’une autorisation spéciale pour la visite d’un centre pénitentiaire. La seconde, elle, visait à obtenir des informations d’intérêt public en répondant à ces questions ci-après :
- Quelle est la capacité officielle du pôle pénitentiaire d’Abidjan (ex-MACA) et combien de détenus y sont actuellement incarcérés ?
- Combien compte-t-on d’établissements pénitentiaires en Côte d’Ivoire ?
- Quelles sont les principales difficultés rencontrées dans la gestion des prisons en Côte d'Ivoire, en particulier sur le plan des infrastructures et des ressources ?
- Comment gérez-vous la surpopulation carcérale, et quelles solutions envisagez-vous pour y remédier ?
- Quelles mesures sont prises pour assurer le respect des droits fondamentaux des détenus, comme l'accès aux soins médicaux et à la nourriture ?
- Comment est formé le personnel pénitentiaire sur les droits humains et la gestion des détenus ?
- Pouvez-vous nous expliquer les politiques de séparation des détenus prévenus et condamnés ? Sont-elles strictement appliquées ?
- Quels sont les programmes de réhabilitation ou de réinsertion sociale mis en place pour les détenus ?
- Que faites-vous pour prévenir les violences en milieu carcéral, qu'elles soient entre détenus ou entre le personnel et les détenus ?
- Comment l'administration pénitentiaire coopère-t-elle avec les ONG et les organisations de défense des droits humains ?
Jusqu'à la date du 11 octobre 2024 et jusqu'à la publication de ce dossier, nous n'avons reçu aucune réponse de la direction de l'administration pénitentiaire.
Vue de la décharge de la requête déposée au secrétariat de la DAP.
Cependant, des recherches ont révélé que quatre réformes majeures ont été annoncées. Celles-ci incluent :
- La construction de nouvelles prisons pour désengorger les établissements pénitentiaires.
- La réduction de la détention provisoire, visant à accélérer les procès et à limiter les abus liés à la détention provisoire.
- Des programmes de réinsertion sociale visent à développer des formations professionnelles pour les détenus.
- L'amélioration de l'hygiène et de l'accès à la santé par un plan visant à équiper les prisons de meilleures infrastructures sanitaires.
S'agissant des réformes, le gouvernement a entrepris la transformation de la Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan (MACA) en Pôle pénitentiaire d'Abidjan en septembre 2023. Cette transformation s'accompagne également d'une réorganisation et d' une réaffectation des bâtiments.
La MACA, aujourd'hui Pôle pénitentiaire d'Abidjan, est divisé en cinq sections :
- Le bâtiment A est devenu la Maison d'arrêt d'Abidjan.
- Le bâtiment B est devenu la Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan.
- Le bâtiment C est désormais la Maison pénale d'Abidjan.
- Le bâtiment des assimilés est aujourd'hui la Maison d'arrêt et de correction pour hommes d'Abidjan.
- Le bâtiment des Femmes d'avant est désormais la Maison d'arrêt et de correction pour femmes et mineurs d'Abidjan.
En ce qui concerne la construction de nouvelles prisons, après l'inauguration de la Maison d'arrêt et de correction de San Pedro le 24 février 2023, il y a la prison de haute sécurité de Korhogo (qui est presque terminée, mais pas encore ouverte ), la prison de Guiglo (terminée, mais pas encore ouverte) et la prison de Sinfra (qui n'est pas encore terminé et n'est pas ouverte non plus).
Pour rappel, à la suite de la crise post-électorale, les autorités ont investi plus de 2 milliards de francs CFA pour réhabiliter, entre mars et août 2011, les portails, les bureaux ainsi que les cellules de la MACA.
Dans le cadre des réformes, lors du Conseil des ministres du 16 octobre 2024, le gouvernement a adopté un projet de loi portant création, attributions, organisation et fonctionnement de l'Observatoire National de la Détention. Il s'agit d'une Autorité administrative indépendante, chargée de prévenir la torture ainsi que les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cet observatoire a pour mission spécifique d'effectuer des visites régulières dans tous les lieux où des personnes sont privées de liberté et de veiller à la mise en place de mesures de protection spécifiques pour les personnes vulnérables, telles que les personnes vivantes avec un handicap, les femmes et les enfants, afin de prévenir les traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les lieux de détention.
Propositions de réformes
Le principal veilleur ou surveillant des droits des détenus en Côte d’Ivoire, le CNDH a fait des recommandations dans son rapport d’enquête 2023-2024. Celles-ci se présentent comme suit :
- formuler et mettre en œuvre à court terme une politique de déflation carcérale avec le concours de l’ensemble des acteurs locaux et internationaux intervenant dans le milieu de la détention ;
- procéder à une réhabilitation urgente des MAC en vue d’adapter les conditions de détention aux normes internationales des droits de l’homme ;
- faire bénéficier aux détenus préventifs qui en respectent les conditions les mesures alternatives à l’incarcération ;
- recourir à une application plus stricte de la loi en vue de la mise en liberté des personnes en situation de détention injustifiée ;
- recourir davantage à la libération conditionnelle au profit des détenus qui répondent aux critères, et limiter le nombre d’intervenants dans la procédure ;
- mettre en place un mécanisme de contrôle régulier des délais de détention préventive ;
- encourager les magistrats à recourir davantage aux mesures alternatives à l’incarcération ;
- établir un partenariat entre l’administration pénitentiaire et les écoles et instituts de formation professionnelle afin de renforcer et diversifier les activités constructives et de reclassement au sein des prisons ;
- mettre en place un mécanisme de suivi post-détention afin de prévenir la récidive et faciliter la réinsertion ;
- procéder à une mise en œuvre effective des dispositions de l’arrêté n°01 du 09/07/2015 fixant la ration alimentaire et la dotation en produits d’hygiène et
d’entretien journalières des détenus civils ;
- faire une évaluation de la mise en œuvre des réformes issues du code de procédure pénale (2018) et du code pénal (2019) ;
- renforcer l’effectif, la capacité professionnelle des agents pénitentiaires, améliorer leur condition de travail et valoriser la fonction ;
- construire de nouveaux établissements pénitentiaires respectueux des normes internationales de droits de l’homme ;
- augmenter le nombre de juridictions à travers le pays.
Quant aux ex-détenus inclus dans ce dossier, ils ont tous, à l'unisson, formulé les propositions suivantes pour améliorer la situation carcérale :
-Dépeuplement des prisons : Les prisons sont surpeuplées, en grande partie à cause de nombreux détenus en attente de jugement, souvent pour des délits mineurs comme des bagarres, des dettes non remboursées ou des escroqueries de petits montants (50 000 ou 100 000 francs CFA) .
-Peines alternatives pour délits mineurs : Il serait possible de désengorger les prisons en instaurant des peines aménagées, comme les travaux d'intérêt général, pour les personnes accusées de délits mineurs, au lieu de les incarcérer.
-Accélérer les procédures judiciaires : Pour les cas plus graves, il est nécessaire d'accélérer les procédures judiciaires afin que les personnes ne restent pas indéfiniment en détention préventive.
-Remises de peine et libérations conditionnelles : Ce type de mesures, comme les remises de peine et les libérations pour bonne conduite, devraient être réactivées pour fluidifier la gestion des détenus et favoriser leur réinsertion.
-Organisme de réinsertion : Il est essentiel de créer une structure dédiée à la réinsertion des détenus. Après leur libération, de nombreuses personnes sortent traumatisées, sans ressources et avec des relations familiales souvent dégradées. Cet organisme pourrait ancien les anciens détenus à des métiers porteurs, tels que l'agriculture et l'élevage, pour les aider à retrouver une autonomie financière et sociale.
-Réduction du nombre de détenus : Elle estime que le maintien en détention de nombreuses personnes n'est pas toujours justifié. Il serait plus judicieux de réduire le nombre de détenus, en privilégiant des alternatives à l'emprisonnement pour certains cas.
-Réhabilitation des infrastructures : Les prisons doivent être rénovées et modernisées afin d'améliorer les conditions de vie des détenus et d'assurer un environnement plus humain.
-Probité et conscience professionnelle des assistants sociaux et gardiens : Les travailleurs sociaux et les gardiens de prison doivent accomplir leurs tâches de manière plus rigoureuse et efficace, en soutenant les détenus et en garantissant un bon encadrement.
-Contrôles inopinés à l’endroit du personnel pénitentiaire : Il est nécessaire de mettre en place des contrôles imprévus pour lutter contre la corruption et l'incompétence dans les établissements pénitentiaires. Cela permettra de sanctionner les abus et de s'assurer que le personnel fait correctement son travail.
-Création d'une équipe pluridisciplinaire pour accompagner les détenus : Une équipe composée de psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux et éducateurs spécialisés, en particulier pour les mineurs. Cette équipe aiderait les détenus à construire un projet de vie post-carcéral, en prenant en compte leur réinsertion professionnelle, scolaire et familiale.
-Renforcement des mécanismes de résilience : Le soutien psychologique et social permet de stimuler la résilience des détenus, les aidant à mieux se réadapter à la société.
-Réduction du risque de récidive : Un accompagnement global favoriserait la réinsertion sociale et réduirait ainsi les risques de récidive après la libération des détenus.
Les conditions de détention telles que présentées dans ce dossier mettent en lumière des atteintes graves et des violations inadmissibles des droits des personnes privées de liberté. Conditions inhumaines, corruption, avilissement, déshumanisation, troubles mentaux, radicalisation, détention provisoire prolongée, manque de soins de santé appropriés, ration alimentaire de mauvaise qualité et insuffisante, manque d’information, lenteur des réformes, etc, sont autant de défis qui clou au pilori le système carcéral ivoirien.
Comment développer des alternatives à l'incarcération pour les délits mineurs afin de désengorger les prisons tout en préservant la sécurité publique ?
Pour y parvenir, il faut envisager une synergie d’actions entre plusieurs acteurs à savoir les médias, la société civile, les anciens détenus, le personnel pénitentiaire et les autorités compétentes pour que les droits humains soient respectés dans les prisons en Côte d’Ivoire.
Patrick KROU
Encadré 1
Tensions entre le CNDH et le ministère de la Justice sur les chiffres de la population carcérale en attente de jugement
Le 12 septembre 2024, lors d'un briefing avec le corps diplomatique, Namizata Sangaré, présidente du Conseil National des Droits de l'Homme (CNDH), a révélé que 12 056 détenus, soit 51,27 % de la population carcérale, sont en attente de jugement dans les établissements pénitentiaires ivoiriens. Cette annonce repose sur une enquête menée par le CNDH du 10 au 14 juin 2024, couvrant les 35 établissements pénitentiaires du pays, où le nombre total de détenus s'élevait à 23 515. La répartition des détenus en attente de jugement est la suivante : 38 % attendent un premier jugement dans les délais légaux, 31 % hors délais, 27 % ont interjeté appel et 4 % ont formé un pourvoi en cassation. Cette déclaration a immédiatement provoqué une réaction du ministère de la Justice et des Droits de l'Homme, qui a contesté ces chiffres. Selon Célestin Doheuly Kamin, directeur de l'Administration pénitentiaire (DAP), le taux réel de détenus en attente de jugement durant cette période n’a jamais dépassé 36 %. Le ministère souligne que le suivi quotidien des statistiques carcérales permet d’éviter toute manipulation des chiffres.
voici l'histogramme à barres représentant la répartition des détenu(e)s en attente de jugement selon les différentes catégories susmentionnées.
P. K
Encadré 2
La loi du silence dans les prisons ivoiriennes
Dans la réalisation de ce dossier sur les conditions de détention et les droits des détenus en Côte d'Ivoire, nous avons échangé par téléphone avec plusieurs détenus du PPA, ex-MACA.
Bien qu'ils dénoncent leurs conditions de détention, tous partagent le même credo et les mêmes craintes : souffrir en silence pour éviter de devenir la cible de représailles de la part des gardes pénitentiaires. Un ex-détenu que nous avons rencontré s'est engagé à entreprendre des démarches auprès d'un agent du service social du PPA.
D'abord très coopératif et prêt à témoigner, ce fonctionnaire s'est finalement rétracté, craignant des représailles. Comme dans une mafia sicilienne, la loi du silence règne dans les lieux de détention en Côte d'Ivoire.
P. K
(À suivre...)