Raffierkro-Hôpital de Manikro/Docteur Kaba Lanciné, médecin traitant depuis 28 ans, rassure :« La lèpre est une maladie très peu contagieuse »
Raffierkro-Hôpital de Manikro/Docteur Kaba Lanciné, médecin traitant depuis 28 ans, rassure :« La lèpre est une maladie très peu contagieuse »
Au terme de son reportage au village de Raffierkro, publié en quatre parties par notre rédaction, notre journaliste a rencontré à l’Institut Raoul Follereau de Côte d’Ivoire Centre Manikro, le chirurgien résident et chef d‘antenne responsable de ce centre de santé, principalement dédié aux patients atteints de maladies tropicales négligées (MTN). Avant de procéder à une intervention chirurgicale ce jeudi 10 octobre 2024, en début d’après-midi, le Dr Kaba Lanciné a volontiers répondu à ses questions.
Maître-assistant en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké, le Dr Kaba Lanciné partage son temps entre ses activités académiques et son travail à l’Institut Raoul Follereau de Manikro, une antenne de l’Institut Raoul Follereau de Côte d’Ivoire à Bouaké.
Œuvrant dans le traitement des MTN depuis 1995, et responsable du centre de santé de Manikro depuis 2020, ce spécialiste nous parle sans détour de la maladie de Hansen, de son mode de contamination et des défis qu’il rencontre au quotidien. Entretien!
Dr Kaba Lanciné, responsable de l’Hôpital de Manikro parle des défis et des avancées dans la prise en charge des patients atteints de lèpre.
Quels types de médecines sont réalisés à l’Hôpital de Manikro ?
Étant un hôpital relativement reculé, nous fonctionnons comme un hôpital de premier niveau et recevons tout type de patient avant référence dans le service spécialisé au CHU de Bouaké.
Notre spécificité est que nous sommes un hôpital spécialisé.
Selon la nouvelle dénomination, nous sommes un établissement public spécialisé, principalement dédié à la prise en charge de la lèpre, notamment ces complications, qu’elles soient chirurgicales ou médicales, les ulcère de Buruli évolutifs qui ne pourront pas guérir dans un délai raisonnable par le traitement médical, et aux séquelles chirurgicales liées à cette maladie.
Quels types de soins spécifiques propose votre centre en dehors des pathologies habituelles ?
Au-delà de ces deux pathologies spécifiques, nous pouvons prendre en charge tout type de malade justiciable d’un acte de chirurgie plastique ou réparatrice.
Nous traitons, entre autres, les séquelles de brûlures, ainsi que les fractures ouvertes des jambes causées par des accidents de moto ou autres, avec exposition osseuse. De plus, nous avons deux sage-femmes qui animent les activités de la maternité.
Concernant ce que le commun des mortels appelle la chirurgie esthétique, nous préférons parler de chirurgie réparatrice fonctionnelle, dans notre contexte. Par exemple, la réduction mammaire pour des seins trop volumineux qui peuvent provoquer des douleurs dorsales entre les deux omoplates invalidantes en plus de l’inconfort et son retentissement sur la silhouette ou la correction d’un abdomen disgracieux dû à de nombreuses maternités. Cela fait aussi partie de nos compétences.
Est-ce que vous disposez aussi de traitement pour le rajeunissement ?
Nous proposons des traitements de rajeunissement du visage ou rajeunissement facial. Pour atténuer les rides, nous utilisons des produits de comblement ainsi que du Botox, afin de les effacer et de lisser la peau. C'est une pratique que nous maîtrisons et que nous effectuons régulièrement.
Est-ce que le nombre de patients que vous recevez ici est-il élevé ?
Il est difficile de vous donner un nombre précis de patients. En moyenne, nous recevons une dizaine de patients par mois. Parmi eux, nous en opérons généralement 2 ou 3, répartis sur environ deux semaines. Seuls les patients atteints de la lèpre ou de l’ulcère de Buruli bénéficient de la prise en charge gratuite.
Nous avons subi les contrecoups des évènements socio-politiques du 19 septembre 2002 avec arrêt complet des activités jusqu’en 2014 où le Centre a été réhabilité.
Nous sommes en service ici depuis février 2020.
LUne vue de l’entrée principale de l’Institut Raoul Follereau Centre de Manikro.
Est-ce que la carte de la Couverture Maladie Universelle (CMU) est-elle acceptée ici pour bénéficier de vos soins ?
La carte de la CMU devrait être acceptée. J'ai été formé à son utilisation et je dispose de mes identifiants CMU. Cependant, nous manquons à la fois de personnel et d'équipements pour faire fonctionner correctement ce service public.
Comment êtes-vous organisé pour une prose en charge efficiente des patients ?
Nous avons des pavillons d'hospitalisation.
Pour les patients non atteints de lèpre, nous en avons deux : le pavillon des femmes et le pavillon des hommes.
Il y a également un pavillon pour les patients atteints de lèpre et de l'ulcère de Buruli, que vous rencontrerez à l'entrée du site, sous l'enseigne « Fondation Raoul Follereau ». Ces deux compartiments se trouvent dans le même bâtiment, mais ils sont séparés.
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans le traitement des personnes atteintes des différentes maladies tropicales négligées ?
La difficulté, c'est un problème de plateau technique. Parfois, pour opérer, il faut des équipements très spécifiques. Pour réhabiliter le visage, la main et le pied, ce sont des fils de petit calibre.
Il y a aussi, parmi les maladies tropicales négligées (MTN), ce qu'on appelle l’éléphantiasis. Cela se manifeste par un pied qui grossit énormément en raison d'une onchocercose préalable. L'intervention consiste à réduire la taille de ce pied. La spécificité de la prise en charge nécessite un personnel entrainé avec l’instrumentation adéquate.
Il nous manque aussi du personnel qualifié, depuis le médecin jusqu'à l'aide-soignant. Nous avons pris l'habitude de former toute cette chaîne de soins autour de la gestion des plaies. En fin de compte, tout se résume à la gestion des plaies, que ce soit pour la lèpre, les brûlures ou d'autres pathologies.
En plus, il nous faut du matériel roulant : des ambulances et des véhicules de transport pour le personnel, comme à Adzopé.
Disposez-vous d’un service de radiologie ?
Nous disposons d’un service de radiologie mais qui n’est pas encore fonctionnel. Le matériel est disponible, il faut juste l'installer avec 2 radiologues pour le faire fonctionner, recevoir avant de devoir se reposer.
Il faudrait également équiper le laboratoire, qui pourrait servir à tous les centres de santé jusqu'à Tiplé. Actuellement, tout le monde doit se rendre à Bouaké pour faire des examens sanguins.
Justement, y a-t-il des pénuries de médicaments, notamment des médicaments essentiels ?
Oui, pour certains types de médicaments. En fait, la pharmacie fonctionne un peu comme une antenne d'Adzopé, qui se trouve à 400 kilomètres. Donc, lorsqu'il y a une pénurie, il y a donc un temps de latence, délai qui peut être préjudiciable pour les malades prioritaires de la lèpre et de l’ulcère de buruli,
En revanche, pour les patients qui ne sont pas porteurs des pathologies susmentionnées, nous pouvons leur donner une ordonnance pour qu'ils achètent leurs médicaments en ville.
Quel est le niveau de sensibilisation des patients quant à la nature de la maladie et aux traitements disponibles ?
Nous avons l'obligation de les informer. Dès le diagnostic posé, nous appliquons les principes d'information, d'éducation et de communication. En particulier dans le cadre de la lèpre, nous devons informer les patients, car la maladie peut d'abord apparaître sous forme de taches insensibles sur la peau. Mais elle peut évoluer et affecter les nerfs périphériques. C'est à ce moment-là que l'on voit des déformations : le visage peut être affecté, les yeux ne se ferment plus, les doigts deviennent griffus, les pieds se déforment.
Nous avons la chance d'avoir des patients qui ne sont pas encore arrivés à ce stade. Nous leur donnons donc toutes les informations nécessaires pour prévenir l'évolution vers ces complications. Et si la maladie progresse malgré tout, ils doivent revenir rapidement au centre pour obtenir le traitement adéquat. Pour ceux qui n'ont pas eu cette chance et qui présentent déjà des malformations, une fois le traitement terminé, nous envisageons des interventions chirurgicales pour corriger les déformations.
La voie principale du Centre Manikro qui débouche sur le bâtiment abritant le Bloc opératoire.
Comment gérez-vous la stigmatisation et l’isolement des malades ?
(NDLR : Le docteur lève ses mains en l’air et les agite, comme pour souligner son propos. Ce geste symbolise l’engagement à lutter contre la stigmatisation des malades et à améliorer leur prise en charge avec dignité.)
Je suis dans le domaine de la lèpre depuis le 9 juin 1995. J'ai encore mes doigts, j'ai encore mes orteils. Que Dieu permette qu'il en soit toujours ainsi. Mais nous essayons d'ouvrir l'hôpital. Avant, les gens voyaient que le pavillon pour la lèpre était à un endroit isolé, et le pavillon pour les autres maladies à un autre. Il est important de bien informer tout le monde.
Une fois qu'un malade atteint de lèpre arrive dans un centre et reçoit sa première dose de traitement sous supervision, 48 heures plus tard, il n'est plus contagieux. Il faut comprendre que la lèpre et la tuberculose sont soignées au niveau des districts. Nous ne recevons que les cas compliqués. Lorsque la personne arrive chez nous, si le diagnostic est posé ici, 48 heures après le début du traitement, la personne n'est plus contagieuse. Mais comme la lèpre est une maladie particulière, le traitement doit être suivi sur une longue période.
Le patient n'est donc plus contagieux après la prise supervisée. Êtes-vous certain de cette affirmation ?
Si le patient est vu dans un district, il prend sa dose sous supervision. On parle de "prise supervisée" parce que le patient prend son traitement sous les yeux du personnel de santé. Une fois cette première dose prise, il n'est plus contagieux. Après cette période de 48 heures (nous disions auparavant 24 heures, mais nous préférons dire 48 heures pour plus de sécurité), la personne n'est plus contagieuse.
Cependant, il existe encore une stigmatisation intellectuelle. Pour certaines personnes, juste entendre le mot "lèpre" est un problème. La preuve : même dans les conversations, quand quelque chose n'est pas agréable à dire, on préfère dire "c'est mieux qu'une lèpre". Cette stigmatisation, on ne pourra pas l'enlever facilement des esprits.
Depuis 1995, beaucoup de choses ont changé. Les mentalités ont évolué. Avant, la Journée mondiale de la lèpre était célébrée comme une fête. On organisait des petites scènes de théâtre pour les malades de la lèpre, afin qu'ils se sentent entourés. Toutefois, certaines activités ludiques animées par les patients étaient dégradantes. Nous les avons abolis, car les malades n'ont pas à être stigmatisés ni à devenir des objets de spectacle.
Le pavillon lèpre réhabilité par La Fondation Raoul Follereau française.
Quelles mesures devraient être prises pour améliorer les conditions du travail et la qualité des soins ?
Mettre à disposition un moyen de transport pour assurer la liaison entre Bouaké et l’Hôpital de Manikro pour le personnel.
Avant 2002, ce service existait. Il est également nécessaire d’équiper l’hôpital d’une ambulance et de connecter le groupe électrogène, qui reste non branché. Actuellement, nous sommes soumis aux coupures de courant fréquentes, ainsi qu’au rationnement de l’électricité, avec toutes les conséquences que cela implique.
Il est primordial de renforcer le personnel de santé à tous les niveaux : médecins spécialisés, infirmiers spécialisés, infirmiers, garçons de salle, aides-soignants. Par ailleurs, il est indispensable de garantir un approvisionnement régulier en médicaments pour la pharmacie de l’hôpital.
En outre, il est essentiel d’équiper les deux blocs opératoires de manière adéquate. C'est un appel que je lance au Conseil régional du Gbêkê. Celui-ci doit prendre conscience que, au bout de cette piste, se trouve un hôpital qui a besoin de soutien. Il serait grandement bénéfique que le Conseil régional envisage de réprofiler la piste, au moins une fois par trimestre.
Nous sommes contraints d’évacuer des patients traumatisés du CHU de Bouaké jusqu’à cet hôpital, et compte tenu des conditions actuelles de la route, le trajet est particulièrement inconfortable pour les patients. Les mouvements incessants rendent ce transport encore plus pénible et inadapté à leur état.
Quel appel pouvez-vous lancé aux populations ?
L'appel que j'adresse aux populations est que l'Institut Raoul Follereau Centre de Manikro est désormais fonctionnel. Nous les invitons à s'y rendre, car c'est grâce à la fréquentation de cet établissement que l'hôpital pourra prospérer. Entre 2002 et 2014, l'hôpital avait été laissé à l'abandon, mais aujourd'hui, il est opérationnel et toutes les activités y sont menées. Nous encourageons ceux qui y ont été référés, ainsi que ceux des environs et les patients nécessitant des soins de médecine générale, à venir profiter de nos services.
Quel message adresser aux personnes atteintes de lèpre qui sont réticentes à consulter ? Qu'est-ce que vous leur dites ?
Nous leur disons de venir. Nous savons traiter les patients dans la plus grande discrétion, et nous respectons des consignes de confidentialité strictes. Si vous vous présentez tôt, nous pourrons établir un diagnostic rapide et vous débuter le traitement. Ce dernier peut être suivi pendant un an sans que quiconque ne le sache, car lui seul et le professionnel de santé seront informés.
Il est essentiel de souligner que nous sommes tenus au secret médical, en particulier en ce qui concerne la lèpre. Même après le décès, le respect du secret médical demeure impératif pour le patient.
Et quel est le délai de guérison ?
Il existe deux formes de lèpre. La première, la lèpre paucibacillaire (pauvre en baciles), nécessite un traitement de six mois.
La seconde, dite lèpre multibacillaire (présence de nombreux bacilles), nécessite un traitement continu de douze mois. Ce traitement consiste en des plaquettes mensuelles, qui sont gratuites.
Le signe primaire de la lèpre est une tache décolorée et insensible. C’est le nombre de taches qui déterminera la classification en paucibacillaire et multibacillaire.
La lèpre multibacillaire est plus contagieuse que la lèpre paucibacillaire. Il faut signaler que la lèpre est aussi vieille que l’humanité, et chaque personne à une immunité naturelle variable vis à vis du bacille.
Entretien réalisé par Patrick KROU à l’Institut Raoul Follereau Centre de Manikro.