Lèpre Dans l’univers des oubliés de Raffierkro

Lèpre Dans l’univers des oubliés de Raffierkro

08/11/2024 - 17:01
Lèpre Dans l’univers des oubliés de Raffierkro
Lèpre Dans l’univers des oubliés de Raffierkro

Isolés sur une superficie de 25 à 30 hectares dans la région du Gbêkê, le village de Raffierkro et l'hôpital de Manikro, principalement dédiés aux maladies tropicales négligées (MTN), sont situés le long de l'axe Djébonoua-Bouaké. En 1963, lors de l'une de ses explorations dans cette région, alors qu'il est médecin au service de santé des armées en France, le Dr Gilbert Raffier découvre un asile de malades marginalisés et abandonnés au centre de traitement de la lèpre de Manikro. Ce centre, situé en pleine forêt, est enclavé au cœur de cinq villages environnants : Mamian, N’douakro, Ohodji, Koffikro et N’drikro. Ému par la situation de ces "personae non gratae" de la République, le médecin général et co-découvreur du virus Ébola décide de redonner leur dignité à ces malades, en transformant la léproserie-hôpital en un centre d’humanité, un lieu de vie agréable, propice à la réhabilitation sociale des patients atteints de lèpre, conformément à l’esprit et à la philosophie de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1789.

Dans un reportage publié en quatre parties, notre journaliste vous plonge dans l’univers des oubliés de Raffierkro, pour vous faire découvrir leurs conditions de vie, leurs défis quotidiens et les initiatives mises en place pour leur permettre d’exister dignement, eux aussi. Reportage !

Une vue de l’entrée principale sud du village Raffierkro. 

 

Une rencontre inattendue sur la piste de Raffierkro

Mercredi 9 octobre 2024. À 14h08, sous un soleil de plomb qui ne semble plus contenir ses rayons, je descends au carrefour du village de Raffierkro. Aux abords de la voie non bitumée qui mène au village, un garage de mécano exhibe des voitures exsangues posées sur des briques ou stationnées avec des pneus dégonflés. Sous un hangar, trois hommes, assis sur des chaises traditionnelles, sirotent du thé pendant que trois autres tentent de déboulonner des écrous sur un moteur de Toyota rouge, avec une grande boîte à outils près d’eux.

Je les questionne sans tergiverser sur le moyen de me rendre au village de Raffierkro. « Il faut attendre un taxi-moto. Sinon, tu peux y aller à pied, ce n’est pas trop loin », me répond l’un d’eux, un verre de thé à la main droite, dirigeant de l’autre sa cigarette vers ses lèvres noircies par la fumée.

À 14h15, toujours pas de taxi-brousse ni de taxi-moto en vue. Je décide donc de me lancer sur les 2,5 km de piste bien reprofilée. À peine engagé, rassemblant mes dernières forces, un bon samaritain arrive comme par miracle. « Monsieur, où allez-vous ? » demande un homme d’une quarantaine d’années, au volant d’une Lancia verte, dont la plaque d’immatriculation, bien qu’illisible, laisse apparaître les lettres "CY".

« Je vais au village de Raffierkro. C’est la première fois, je suis journaliste et je viens pour un reportage », lui expliquai-je. « Montez, je vais dans un village un peu plus loin, je vais vous déposer », m’invite-t-il sous le regard curieux de ses deux enfants, couchés sur la banquette arrière.

Depuis mon siège avant, j’admire la canopée des deux côtés du chemin, avec ses manguiers, anacardiers, palmiers et rôniers, qui frémissent sous l’effet du vent. Je suis émerveillé par la nature, dans cette reconnexion à la terre, quand le village fondé par le docteur Gilbert Raffier se présente à moi dix minutes plus tard. Je descends à l’entrée principale de Raffierkro.

À la découverte de Raffierkro : entre traditions ancestrales et innovations surprenantes

Depuis mon départ de la capitale économique, mon contact dans le village ne répond plus au téléphone. Le matin du mardi 8 octobre 2024, date initialement prévue pour mon voyage, il ne décroche pas jusqu’au soir. Puis, dans la soirée, je réussis à le joindre. Après avoir prétexté une mauvaise couverture du réseau cellulaire, Adjé, l’ancien président des jeunes du village et aujourd’hui homme de salle à l’hôpital de Manikro, m’explique qu’il était préoccupé à régler une affaire de vol de bétail. Il me raconte enfin toute l’histoire lorsque je le rencontre en personne le mercredi 9 octobre.

Je me renseigne auprès d’une villageoise. Sans hésiter, cette aide-soignante me conduit chez la notabilité. Sous un préau terrasse, dressé dans ce paysage pittoresque parsemé de maisons à l’architecture moderne, avec un sol recouvert de carreaux scintillants marron et un plafond soigneusement aménagé, j’apprends plus tard que ce lieu a été offert par la compagnie UTB. Un septuagénaire au visage buriné, portant une prothèse à la jambe droite et s’appuyant sur une canne, somnole dans un siège avec accoudoirs. Il m’est présenté comme étant le chef de Raffierkro. Je me présente comme journaliste, en ces lieux pour un reportage. Me croyant en territoire conquis, car mon contact Adjé a annoncé mon arrivée, je suis très déçu de découvrir qu’il n’a pas pris la peine d’avertir la notabilité de ma venue. Je passe de longues minutes à décliner mon identité, ma fonction et l’objet réel de ma présence. Bien que j’aie vécu une dizaine d’années dans le « Gbêkê », je ne parle qu’un baoulé approximatif, voire mauvais. Un dialogue de sourds s’installe entre le chef couronné, un conseiller et moi, jusqu’à ce que, lassé de ne pas nous comprendre, il ordonne qu’on fasse appel à Nabia Brice, un jeune ressortissant du village. Diplômé en comptabilité, audit et contrôle, il a effectué deux stages : l’un au Trésor public de Sinfra et l’autre de six mois, renouvelable une fois, dans une microfinance à Abidjan, avant de regagner son village natal, faute d’avoir été retenu pour un emploi.

Nous reprenons les civilités. Je me présente de nouveau, et le jeune également. Je reprends mon laïus sur mon patronyme, ma fonction et l’objet de ma présence à Raffierkro. Une fois le quiproquo dissipé, le chef, Nanan Angoua N’guessan, lui ordonne de me loger conformément au protocole coutumier de réception d’un étranger. Avant de prendre congé du chef et de son notable, ils me proposent à manger. Je veux respectueusement décliner l’offre, mais à la vue d’une sauce « djumblé » avec du foutou igname, une pensée me traverse l’esprit : « Foutou igname à la sauce djumblé ! » Selon le témoignage de Mamie Koissy, née Brou Affoué Marcelle, amie d’enfance du deuxième président ivoirien que j’avais interviewée, c’est le mets préféré de feu le président Konan Bédié. De plus, cette sauce noireâtre à base de gombo sec figure parmi mes plats préférés. En compagnie de mon nouveau guide Nabia Brice, je savoure le repas avec grand appétit. Entre deux bouchées, je lui confie que si je mange avec autant d’appétit, c’est parce que j’ai un vrai faible pour la sauce « djumblé » avec du foutou igname ou de banane. Avant mon départ de Raffierkro, je découvrirai par le jeu du hasard que l’épouse du notable, dénommée Oussou Ahou Solange, qui m’avait préparé cette savoureuse sauce « djumblé », est la cousine germaine de ma défunte belle-mère.

Après m’être régalé, je suis conduit dans la cour familiale du notable Nabia Seydou, située en face du siège de la chefferie. Dans la maison qu’il a bâtie en dur — pas encore totalement terminée, mais dotée d’une toiture et crépie —, le premier notable me loge dans l’une des quatre pièces. Après avoir vu mon logis et étant bien repus de ce repas frugal, j’entame une marche digestive pour découvrir le village. Mon guide Brice et moi arpentons les venelles qui serpentent dans cette grande bourgade de 568 habitants, selon le cinquième recensement général de la population et de l’habitat (RGPH 2021) initié par décret en août 2018. Ce génie, le docteur Gilbert Raffier, a lui-même imaginé et dessiné tous les plans des différentes composantes du village, jusque dans les moindres détails.

Une vue de la chapelle œcuménique telle que conçue par le docteur Raffier. 

Raffierkro est composé de trois quartiers. Sur le plan infrastructurel, la population dispose d’un groupe scolaire de deux écoles (EPP Raffierkro 1 et 2), comprenant 12 classes, d’une maternelle avec deux bâtiments et d’une cantine. Le village possède également un stade de Football fonctionnel avec une tribune vétuste, qui a accueilli un concours de mini variétoscope réunissant des groupes de jeunes venus des cinq villages environnants ; un terrain de basket non fonctionnel, une bibliothèque accompagnée d’une salle d’informatique équipée de six ordinateurs — actuellement non fonctionnels —, un château d’eau de 6000 m³, don de la Fondation Fédérale Suisse, complété par deux pompes villageoises défectueuses pour assurer l’adduction d’eau potable, un groupe électrogène offert par Mme Margaret Grimm, conseillère municipale à Reutlingen en Allemagne en 2007, qui alimente le forage, une broyeuse, une résidence d’accueil pour les hôtes de marque, et un autre bâtiment abritant le conseil du village, qui préserve la mémoire collective en photographies.

Ce village hétéroclite et composite, qui regroupe des autochtones, allogènes, allochtones et ressortissants de la sous-région CEDEAO, possède une originalité atypique : la chapelle de Raffierkro est le symbole d’une coexistence pacifique religieuse. Les fidèles des églises catholiques et de l’Alliance Missionnaire Chrétienne (CMA) utilisent alternativement cet édifice dans une parfaite entente. De 7h à 9h, les protestants rendent leur culte à leur Dieu, puis ils sont remplacés par les catholiques. Cette cohabitation religieuse au sein de cette chapelle œcuménique existe depuis sa construction par le docteur Raffier, financée par un don du Collège Sainte-Marie de Neuilly (Paris) en 1966.

 

Raffierkro dispose également de huit étangs, construits par le médecin fondateur du village dans le cadre d’un projet de pisciculture. Selon les jeunes, le Conseil général du Gbêkê a financé la construction de deux autres étangs piscicoles, mais les premiers spécimens d’alevins tardent à arriver pour démarrer ce projet pilote. J’ai également été ébaubi par l’une des innovations du docteur en médecine tropicale : la culture de la spiruline. Le Dr Raffier a fondé une ferme pour développer cette algue d’origine tchadienne. D’après Ouattara Tiémoko, chef de la ferme de spiruline, le fondateur du village démarre ce projet à petits pas en 2013. Trois années plus tard, il leur fournit deux bassins expérimentaux de 150 m² et un de 70 m². « La spiruline est une algue qui se développe dans un milieu basique avec un pH supérieur à 7. Elle fait partie des aliments végétaux les plus riches en protéines, contribuant à lutter contre la faim et la malnutrition dans les pays en développement. C’est un complément alimentaire qui renforce le système immunitaire et est généralement recommandé aux enfants malnutris ainsi qu’aux personnes vulnérables. L’objectif du Dr Raffier est d’aider les malades à renforcer leurs défenses immunitaires après avoir pris leurs médicaments », explique le spirulinier.

Sur cette image, la spiruline est la substance verdâtre sur la surface de l’eau. Elle est recueillie puis séchée. 

Avec une production moyenne de 20 kg par mois, Ouattara Tiémoko révèle que le projet a un but non lucratif, mais qu'une partie de la production est commercialisée sur le marché local pour en assurer la pérennité. Si l'envie vous prend de découvrir ou d'expérimenter la spiruline produite à la ferme de Raffierkro, vous pouvez la trouver dans la boutique de spiruline au quartier Air France 1 à Bouaké ou au Monastère Sainte-Marie de Bouaké. « Nous avons obtenu les autorisations des ministères de la Santé et du Commerce pour la commercialisation. Ces jours-ci, nous attendons une équipe du ministère du Commerce pour des vérifications, et si tout est concluant, nous commercialiserons nos compléments alimentaires dans les pharmacies ivoiriennes », précise le spirulinier Ouattara Tiémoko. Au terme de la visite à la ferme, trempés jusqu'aux os, mon guide et moi revenons au village. Ployant sous le poids de la fatigue, je commence à ressentir les symptômes d'une crise d'asthme...

 

Une Nuit à Raffierkro

Au crépuscule, Raffierkro n'a pas fière allure. L'éclairage est insuffisant. Dans l'obscurité qui couvre le village, quinze lampadaires solitaires tentent tant bien que mal de déployer leur lumière. Brice me confie que des insectes nocturnes, des serpents ainsi que des scorpions profitent de la pénombre pour se glisser subrepticement dans les habitations afin d'y trouver refuge. Dans les concessions, des pilons s'abattent violemment sur leurs mortiers.

Le choc lourd ou perçant bat la mesure de l'ambiance, tel un métronome, tandis que les discussions enflammées sont ponctuées d'éclats de rire ou de jérémiades d'enfants refusant de se laver. 

Une vue de la venelle principale de Raffierkro la nuit.

Au domicile des Nabia, la maîtresse de maison me propose un bain à l'eau chaude, que j'accepte sans caprice. L'air frais et le vent fort qui circulent puissamment annoncent la pluie. Je dépose mon sac à dos, qui ne me quitte jamais, et me déshabille pour mon bain. Une fois sous la douche, l'eau est si chaude que, malgré les litres d'eau froide contenus dans la salle de bain, je n'arrive pas à la refroidir. Je vide environ trois litres du récipient principal dans un minuscule trou réalisé dans le sol avant de pouvoir trouver la température qui me convient.

Après ma douche, assis sous un appatam dans la cour, Brice m'annonce que le chef du village a mandaté une de ses filles pour m'apporter à manger. Mes yeux sont aussitôt attirés comme un aimant vers la jeune dame, d'une beauté naturelle, sans fard ni produit ghanéen. Son teint clair me fait penser à une métisse. « C'est l'une des filles de Nanan, c'est elle qui nous a apporté le repas », m’informe mon guide. Comme tétanisé, je perds mes mots sur l'instant, me contentant de hocher lourdement la tête, comme pour la remercier mille fois pour cette marque d'attention. Elle dépose les contenants sur une petite table, et le plat de la maison nous est également servi.

Redescendu de mon nuage, je lave mes mains sous le regard attentif de trois chats avec leurs miaulements incommodants, qui me fixent avec impatience. Brice se hâte d'ouvrir les soupières provenant de sa majesté Nanan Angoua N'guessan. « C'est du foutou à la sauce aubergine », lâche-t-il en ouvrant les deux autres. « Ici, c'est du riz à la sauce aubergine aussi », ajoute-t-il. Je me pourlèche discrètement les babines et lui indique lequel des plats m'intéresse. Je me jette dru sur le plat venu de la cour royale, pas seulement parce que la porteuse du repas est mignonne, mais surtout parce que la sauce aubergine — "ober-ber", comme la nomment mes enfants — a été cuisinée de manière traditionnelle. Pas dans un mixeur électrique, qui en détruirait toutes les vitamines, mais écrasée dans un "talier" confectionné en terre cuite avec un pilon. Je jette mon dévolu sur cette sauce bio, concoctée avec le savoir-faire ancestral transmis de mère en fille depuis belle lurette.

J'achève ce festin champêtre par l'autre plat. En pleine digestion, la pluie s'annonce soudainement, et l'escapade nocturne que j'avais envisagée n'a pas lieu. Les trois bistrots du village que j'avais aperçu, et qui distillaient des décibels depuis de minuscules haut-parleurs, avaient fermé leurs portes. Nabia Seydou, le pater familias, nous rejoint.

Aussitôt, j'engage la conversation. Le premier notable ne manque pas de décrier l'attitude éhontée et les discours démagogiques des hommes politiques, qui, à des fins électoralistes, viennent leur conter fleurette en promettent monts et merveilles. « Les hommes politiques viennent dans notre village pour battre campagne. Ils nous disent : "Votez pour nous, on comprend vos problèmes, on va revenir." D'autres promettent même : "Après les élections, je m'occuperai de vos soucis." Certains disent encore : "Si je suis élu, je règlerai tout ça." Mais après, c'est fini. Une fois partis, ils attendent encore cinq ans avant de revenir », regrette-t-il.

Je cherche également à me faire raconter le jour de l'annonce du décès du Dr Gilbert Raffier, le 6 avril 2021 aux habitants du village. « Sincèrement, on était tous abattus. Je ne sais même pas comment exprimer ce que l'on a ressenti comme émotions. Tout le monde avait compris que nous avions tout perdu. En un mot, on se sent démunis, comme si nous étions sans abri, sans soutien. Le Dr Raffier était notre pilier, presque comme un demi-Dieu pour nous. Bien sûr, on ne peut pas le comparer à Dieu, mais il était notre guide, notre protecteur », sanglote-t-il. Puis, dans un grand soupir, ce natif du village, qui y a vécu toute sa vie, hoquette que tout le village a levé une cotisation en guise de solidarité, comme il est de coutume en cas de décès de l'un des leurs. « Nous avons acheté un linceul, un pagne baoulé, ainsi qu'une couverture, conformément à nos traditions. Ensuite, nous avons organisé des veillées en son honneur, à la fois religieuses et traditionnelles. Tout cela a été fait avant l'arrivée de sa famille. Quand sa famille est arrivée au village, nous leur avons remis les objets, comme il est d'usage chez nous, pour leur témoigner notre compassion », raconte le porte-canne et premier responsable du quartier 1.

Plus tard, le chef du village de Raffierkro m’indiquera que, vu tous les bienfaits du médecin militaire français, toute la population a pleuré à chaudes larmes son décès. « Nous étions tous consternés. Mais son épouse et ses enfants viennent toujours nous soutenir. L'une de ses filles a pris la tête de l'Association Raffierkro. D'ailleurs, au mois de septembre dernier, elle était présente ici au village pour s'enquérir des réalités », révèle Nanan Angoua N'Guessan.

Après ces échanges on ne peut plus affligeants, il est 21h lorsque j'intègre la pièce de 16 m² où je suis logé. Cette chambre monacale comporte une table basse recouverte d'un pagne multicolore avec des motifs triangulaires, placée derrière la porte. La fenêtre, n'étant pas encore équipée, est obstruée par une feuille de contreplaqué découpée en carré. Sur ma droite se trouve un lit d'une place sans sommier, et dans l'encoignure, un matelas deux places ligoté, maintenu debout par des bassines en plastique. Au sol, un autre matelas deux places recouvert d'un drap blanc, orné de croquis de tulipes orange. Un ventilateur noir sur pied, sans grille avant, tourne nonchalamment.

Je m'installe temporairement. D'ordinaire, je ne suis pas un « librocubiculaire », mais lorsque je dors à l'étranger, je peine à trouver le sommeil. Alors, je me plonge soit dans un roman, soit dans l'écriture. Cette fois-ci, même la boisson énergisante que j'ingurgite n'a aucun effet face à l'appel insistant de Morphée. Assommé par les six heures de trajet — de 8h à 14h —, je finis par piquer un roupillon.

Cependant, à 3h15 du matin, je me réveille brusquement. Bien que le ventilateur diffuse un léger souffle d'air frais dans la chaleur ambiante et que je sois recouvert d'une épaisse couverture et de chaussettes, des moustiques voltigent en sourdine. Des anophèles enfoncent leurs trompes acérées comme des seringues dans ma peau. L'effet de la sécrétion d'histamine par mon corps me pousse à gratter frénétiquement les traces de piqûres, qui s'enflamment davantage à chaque grattement.

Où trouver de la glace pour me soulager à cette heure de la nuit ? Résigné, je continue de me gratter, mais je ne m'avoue pas vaincu. Je ne me laisse pas faire. Je saisis ma serviette, bien décidé à en découdre avec ces bestioles. Cette bataille à fleurets mouchetés, combinée à la poussière soulevée, aggrave mon essoufflement et provoque une crise d'asthme. Je me précipite sur mon sac pour attraper mon inhalateur "Symbicort".

Assis sur le lit, adossé au mur, je remarque que le silence du village est parfois déchiré par des hululements de rapaces nocturnes et des aboiements de chiens, qui attisent mes frayeurs. Des pensées lugubres s'emparent de moi. Le sommeil a disparu de mes yeux.

À 4h21, je tente à nouveau de m'endormir, mais rien n'y fait. Je reste à tourner en rond, au grand plaisir de mes persécuteurs ailés, qui multiplient leurs assauts intempestifs et incommodants jusqu'aux premières lueurs du jour, ce jeudi 10 octobre 2024. Quatorze minutes plus tard, soit à 4h35, les coqs lancent leurs "cocoricos", accompagnant le rythme cadencé des coups de balai des femmes matinales du village. Par je ne sais quelle alchimie, je parviens enfin à trouver le sommeil.

À 6h20, je me réveille en sursaut, tiré de mon sommeil par des cris en français approximatif : « Missié, j'ai mis l'eau dans la douche, pati laver ! » Offrir de l'eau chaude à un asthmatique pour son bain matinal, c'est comme lui offrir de l'or. Après mon bain, la même jeune femme sert à Brice et à moi une marmite de riz accompagnée de la sauce aubergine de la veille – ce qu'on appelle ici "riz couché", avec un gratin bien croustillant. C'était notre petit déjeuner, à la saveur typiquement rurale.

(À suivre...)

Patrick KROU, envoyé spécial à Raffierkro