Affaire « tarifs du data mobile en Côte d’Ivoire » Pr Mamadou Koulibaly donne sa position

Affaire « tarifs du data mobile en Côte d’Ivoire » Pr Mamadou Koulibaly donne sa position

19/04/2023 - 07:29
Affaire « tarifs du data mobile en Côte d’Ivoire » Pr Mamadou Koulibaly donne sa position

L’affaire des nouveaux tarifs du Data mobile en Côte d’Ivoire et l’ARTCI continue de susciter de vives polémiques. Pr Mamadou Koulibaly, professeur d’université et économiste s’en mêle et fait une contribution pertinente. Voici ce qu’il en dit. 

« L’Autorité de Régulation des Télécommunications/TIC de Côte d’Ivoire (ARTCI) a, entre autres, pour mission de protéger les intérêts des consommateurs. Et pourtant, ses récents édictes, qui sont clairement en faveur des opérateurs et fournisseurs de services, amènent sérieusement à en douter. Alors, pour qui travaille l’ARTCI ?

En tout cas, pas pour les consommateurs ivoiriens, qui paient déjà des tarifs très élevés par rapport aux normes internationales alors qu’ils sont relativement plus pauvres, et voient les prix des forfaits augmenter encore plus à chacune de ses promulgations. 

L’ARTCI semble penser que les opérateurs de téléphonie mobile, qui nagent par ailleurs dans des profits records, ont plus besoin de protection que les consommateurs ivoiriens.

En effet, en 2020, sous le prétexte d’un ralentissement de la croissance du chiffre d’affaires de la téléphonie mobile, l’ARTCI décide, là où les trois (3) principaux opérateurs de téléphonie mobile rivalisent en bonus à qui mieux mieux, d’aucun à coup de 200%, 300% voire 400% de bonus, de mettre un coup de frein brutal à ce jeu concurrentiel sain, en plafonnant les pourcentages de bonus à 100%.

Désormais aucun opérateur n’est autorisé à faire plus de 100% de bonus du volume de trafic souscrit de l’offre de base à laquelle elle est rattachée. L’ARTCI intervient dans cette situation pas pour régler une question d’abus ou de concurrence déloyale, mais pour des questions de rentabilité supposée des entreprises privées, c’est incroyable. 

C’est plus qu’insolite de la part d’un régulateur chargé de simuler, par la règlementation, les conditions de saine concurrence dans un secteur à caractère fortement oligopolistique. 

Il ne faut surtout pas laisser les forces du marché travailler librement mais les encadrer à coup de promulgations. Le libéralisme version Ouattara. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises.* 

Le 6 avril 2023, les opérateurs de téléphonie mobile (MTN CI, ORANGE CI, et MOOV CI) réduisent les volumes de l’offre de service Data tout en maintenant les anciens tarifs à la grande surprise des internautes.

Selon les opérateurs, cette augmentation du prix du mégaoctet fait suite à la décision n°2023-0834 du 12 janvier 2023, de l’ARTCI qui fixe désormais à 0,8 F CFA HT le prix plancher par mégaoctet pour les offres de services data. On est obligé de se pincer plusieurs fois pour s’assurer qu’on ne rêve pas. 

Dans le même temps l’ARTCI dément avoir autorisé ces augmentations forcées, renvoyant la balle aux opérateurs. Mais si tel était vraiment le cas, l’ARTCI ne devrait-elle pas plutôt être en train de notifier des sanctions et amendes punitives aux opérateurs pour leur comportement de fixation de prix en cartel au vu de la synchronicité des augmentations par tous les acteurs de la filière ?

Un prix plancher est un prix minimal auquel le vendeur et l’acheteur sont soumis. Lorsqu’un tel prix existe, le vendeur est tenu de le respecter, ce qui renchérit le coût du service. 

Mais ce concept même de prix plancher est une aberration totale dans le contexte de la tarification d’un service public de base ou l’ARTCI confond un prix plancher avec un prix plafond. 

La langue française joue parfois des tours à certains ou elle outrepasse clairement son mandat en tant que régulateur puisqu’ il n’est nullement de son rôle de fixer les prix des services et certainement pas un prix plancher à un service quotidien aussi vital que le data.

Dans la décision citée ci-dessus, l’ARTCI précise que les revenus sur le service data ont connu une croissance sur la période 2020-2021 de l’ordre de 31,6% pour Orange CI, 21,6% pour MTN CI et de 14,6% pour Moov CI. 

Elle indique également que les marges dégagées sur la même période pour Orange sont de 95% ; et de 39% et 6,4% respectivement pour MTN et Moov. 

Selon SIKA FINANCE, les revenus des opérateurs du secteur Ivoirien n’ont jamais autant progressé depuis dix ans* , « Si le secteur des télécoms en Côte d’Ivoire a poursuivi son dynamisme en 2021 avec notamment un chiffre d’affaires qui a bondi de près de 16% à 1 139,91 milliards Fcfa, contre 983,65 milliards FCFA un an plus tôt, c’est essentiellement grâce à la consommation accrue des données internet. 

De fait, cette évolution des revenus du secteur télécom ivoirien a été principalement imprimée par la forte utilisation de l’internet mobile (+36,7% à 296 milliards Fcfa) et de l’internet fixe (+21% à 51 milliards Fcfa), selon les chiffres officiels publiés par l’ARTCI. 

Le changement d’habitude de consommation chez les utilisateurs ont entraîné la contraction des revenus issus des segments voix (-3,64%) et SMS (-5,34%), mais la performance de l’internet mobile a compensé cette contraction et cela, sans compter les autres services comme le mobile money. Il n’y a donc aucune baisse de chiffre d’affaires (CA) chez les opérateurs du secteur ivoirien . 

Et même s’il y avait eu baisse du CA, pourquoi cela devrait-il préoccuper l’ARTCI ? La responsabilité de la gestion des évolutions des paramètres clés de l’environnement opérationnel n’incombe-t-elle pas d’abord aux opérateurs concernés ? 

À charge pour eux de se restructurer et d’améliorer leur compétitivité et leur marketing pour rééquilibrer leurs activités. Le rôle premier de l’ARTCI n’est-il pas plutôt d’empêcher les opérateurs d’abuser de leur pouvoir tarifaire sur les consommateurs et de vérifier que ceux-ci contrôlent leurs couts d’exploitations et démontrent l’efficacité de leur gestion afin que le consommateur puisse bénéficier de la tarification la plus basse ? 

Alors, pourquoi cette décision d’augmentation du prix des données internet ? L’ARTCI aurait-elle un agenda caché qui ne fait pas partie de son cahier des charges ? Serait-elle secrètement actionnaire dans le capital des opérateurs mobiles ? 

Ce qui ne fait aucun  doute au vu de la détermination insolite de l’ARTCI à protéger le chiffre d’affaires et de la santé financière des opérateurs, c’est que cette augmentation cache en fait une taxe non déclarée sur les consommateurs ivoiriens.

Cette taxe aurait-elle pour but d’aider M. Ouattara à payer les ardoises de sa folle course à l’endettement qui l’amène aujourd’hui devant FMI, le prêteur du dernier recours ? 

Difficile de trouver une autre explication rationnelle à ces décisions en apparence farfelues de l’ARTCI qui n’est pas du tout dans son rôle. 

Pourtant, la Banque Mondiale, le FMI, l’OCDE, l’UE, l’ont dit : la Côte d’ivoire est un pays libéral, son économie est libérale, lui est libéral, dit-on. Le parti au pouvoir est membre de l’internationale libérale. Puis voilà. monopole public, , monopoles privés (les pires), monopoles protégés ; prix plafonds, prix planchers. » 

 

Charles Kaboré