Présidentielle 2020/Cohésion sociale: Chef Konan Yao Matthieu explique comment Bouaké a préservé la paix.
Présidentielle 2020/Cohésion sociale: Chef Konan Yao Matthieu explique comment Bouaké a préservé la paix.

Présidentielle 2020/Cohésion sociale: Chef Konan Yao Matthieu explique comment Bouaké a préservé la paix.
Dans un contexte sociopolitique exigeant un apaisement, le chef central de Bouaké, aussi chef d'Angouatanoukro (Commune de Bouaké, Nanan Konan Yao Matthieu, considère qu'un dialogue national inclusif est essentiel.
Dans cette interview qu’il nous a accordée en marge de la célébration de la fête de Pâques, ce chef Baoulé dévoile les stratégies qui ont permis à la ville de Bouaké d'éviter une nouvelle crise après l'élection présidentielle de 2020, tandis que des violences éclataient sur l'ensemble du territoire national.
Nanan Konan Yao Matthieu, dont le village est situé en plein cœur de la ville de Bouaké, appelle les hautes autorités à initier un "conseil national" où les Ivoiriens pourront échanger de manière fraternelle, afin de surmonter les divisions et de bâtir un avenir commun. Interview !
Infodirecte.net : Chef, les crises post-électorales de 2010 et 2020 ont profondément marqué la Côte d'Ivoire. Quelles leçons essentielles en avez-vous tirées en matière de cohabitation pacifique et de gestion des tensions ?
Nanan Konan Yao Matthieu :
La première et la plus brutale des leçons que ces crises nous ont infligées, c'est la nature destructrice et inhumaine de la guerre. Nous qui l'avons endurée, portons en nous la cicatrice indélébile de la douleur.
Voir nos aînés, nos parents, nos enfants contraints à l'exode, à abandonner la terre de leurs ancêtres, est une blessure qui ne se referme pas facilement.
Ces crises nous ont profondément marqués, nous ont "balafrés" au plus profond de notre être. L'idée même de revivre de tels moments est insupportable. Cette "balafre", comme vous dites, est une cicatrice profonde, et il est douloureux, voire impossible, de revenir sur la genèse de ces tragédies sans raviver des souffrances encore vives.
Infodirecte.net : Chef, les crises post-électorales ont marqué Bouaké. Quels enseignements majeurs votre communauté en a-t-elle retirés, notamment en matière de cohabitation et de gestion des tensions ?
Nanan Konan Yao Matthieu :
Paradoxalement, ces crises ont aussi mis en lumière le manque de cohésion qui pouvait exister ou être fragilisé. Or, la cohésion est le pilier de toute communauté stable et prospère.
Durant ces périodes tumultueuses à Bouaké, nous avons été témoins de scènes poignantes. À l'époque, avant de devenir chef, j'étais le porte-canne de mon oncle, Nanan Kouakou N’guessan, mon prédécesseur. Ensemble, nous avons sillonné les hameaux et les quartiers, ressentant l'inquiétude palpable de la population.
Je me souviens vivement de 2003, où des rumeurs incendiaires propageaient la haine, annonçant des chasses aux Baoulé et des attaques des Dioula à N'gattakro. Ce fut un moment de panique généralisée. Mon oncle a alors pris une initiative courageuse : nous nous sommes rendus à la radio pour lancer un appel pressant aux imams.
Il a mobilisé les autorités religieuses, les chefs de village et les leaders communautaires restés à Bouaké pour former un front uni, un rempart contre le chaos.
Je peux affirmer sans hésitation que cette démonstration de cohésion a été déterminante pour préserver la paix et instaurer un climat sociopolitique plus serein dans notre ville.
Infodirecte.net : À l'approche des élections présidentielles de 2025, quelles sont les principales préoccupations de votre communauté concernant le climat politique et social ?
Nanan Konan Yao Matthieu :
Le Ministre Amadou Koné, en tant que fils de Bouaké, a pris l'initiative de réunir en amont tous les leaders religieux, les chefs de villages et de communautés de la ville.
Il leur a adressé un message clair et je cite : « En 2020, l'élection présidentielle approche. Je vous exhorte à sensibiliser vos administrés afin que la paix règne à Bouaké.»
Conscients de nos responsabilités, nous, chefs de village, avons relayé ce message essentiel à nos communautés. Ce faisant, les résultats ont été probants : Bouaké a été épargnée des violences qui ont secoué le reste du pays.
Je réitère mes vives félicitations au Ministre Amadou Koné pour son leadership et sa clairvoyance. Et nous tenons à souligner le soutien constant des autorités locales, en particulier celui du Ministre Assahoré (président du Conseil régional) et du préfet de Région du Gbêkê, qui s'investissent pleinement à nos côtés dans notre mission de garants de la tradition.
Infodirecte.net : Quelles initiatives concrètes votre village a-t-il prises pour consolider la cohésion sociale et favoriser le dialogue intercommunautaire, notamment face aux tentatives de division ?
Nanan Konan Yao Matthieu :
Face aux campagnes de désinformation visant à opposer les communautés Malinké et Baoulé lors de l'élection présidentielle de 2020, notre village a répondu sans délai.
Averti d'une menace d'attaques imminentes orchestrée par des individus malveillants, j'ai immédiatement mobilisé les jeunes, les notables, les chefs religieux.
Ensemble, nous avons publiquement dénoncé ces tentatives de division lors d'une assemblée rassemblant toute la population.
En outre, nous avons mis en place un comité de veille mixte pour prévenir d’éventuels conflits afin de garantir la sécurité de tous. Cette initiative a été notre salut. Par la suite, nous avons informé les autorités compétentes (préfet, police, gendarmerie) et réuni tous les responsables de communautés pour réaffirmer notre résolution à ne pas céder à la haine.
Notre engagement en faveur de la cohésion se manifeste également par des réunions régulières entre autochtones, allogènes et allochtones, au cours desquelles je rappelle l'importance de notre solidarité : « Si la tête vous fait mal, la nôtre aussi souffrira.
Et si notre tête souffre, vous devez également ressentir cette douleur. Car nous sommes liés, destinés à vivre ensemble. Ainsi, le malheur de Mahadou est aussi le malheur de Konan. » Chez nous, la cohésion n'est pas un mot creux, c'est une réalité quotidienne.
Infodirecte.net : Comment mobiliser la jeunesse de votre village pour qu'elle s'engage de manière constructive dans le processus électoral et dans la consolidation de la paix ?
Nanan Konan Yao Matthieu :
Conscients du potentiel fédérateur du sport, nous organisons régulièrement des tournois de football durant les vacances, créant ainsi des occasions de rencontre et de dialogue entre les différentes communautés : Baoulé, Malinké, Bron, Wè, Krou...
Ces événements s'inscrivent dans des journées culturelles et de loisirs plus larges, encourageant le mélange et l'échange entre les communautés dès le plus jeune âge.
En nourrissant ce sentiment d'appartenance commune et en proposant des alternatives constructives à l'inactivité, nous favorisons la naissance d'une participation citoyenne éclairée et d'une culture durable de la paix.
Infodirecte.net : Quel rôle les chefs traditionnels comme vous peuvent-ils jouer dans la prévention des conflits et la promotion d'élections apaisées à l’approche de la Présidentielle ?
Nanan Konan Yao Matthieu :
Notre rôle n'est pas d'accentuer les tensions, mais plutôt de prévenir les conflits potentiels. Nous nous efforçons d'inculquer à nos communautés les valeurs de solidarité et de fraternité.
Nous rappelons sans relâche que la paix est un bien précieux, indispensable au bien-être et à la prospérité de chacun.
Nous soulignons l'importance des relations de bon voisinage, en insistant sur le fait que, dans les moments difficiles, le voisin est souvent le premier à apporter de l'aide.
Notre travail quotidien vise à promouvoir une culture de paix et de cohésion sociale au sein de nos communautés.
C'est notre outil le plus efficace pour prévenir les conflits et garantir un climat serein, en particulier en vue des élections de 2025. En cultivant ces valeurs fondamentales, nous contribuons à créer un environnement favorable à un processus électoral paisible.
Infodirecte.net : Face aux épreuves passées, quelles stratégies recommandez-vous pour restaurer et consolider la confiance des citoyens envers les institutions publiques et le processus électoral ?
Nanan Konan Yao Matthieu :
Les élections ne sont pas un conflit, mais un acte civique fondamental : celui de sélectionner le candidat jugé le plus apte à diriger notre pays ou notre communauté.
Il est crucial d'évaluer les candidats sur la base de leurs programmes concrets de gouvernance, et non sur des promesses incertaines.
Toutefois, nous devons reconnaître le rôle de l'analphabétisme, qui rend une partie de notre population plus vulnérable aux manipulations.
C'est pourquoi nous, leaders traditionnels, nous nous efforçons d'orienter nos concitoyens vers un choix éclairé, fondé sur la capacité d'un candidat à améliorer concrètement leur quotidien en matière d’accès à la santé, à l'éducation, à l'emploi pour nos jeunes.
Nous les invitons à soutenir celui qui présente un projet d'avenir crédible, assurant un véritable bien-être pour tous.
En insistant sur ces critères tangibles, nous contribuons à renforcer la légitimité du processus électoral et la confiance dans les institutions qui en émanent.
Infodirecte.net : Comment votre village s'assure-t-il que les informations relatives aux élections et aux processus de paix parviennent à tous les membres de la communauté, y compris les plus vulnérables ?
Nanan Konan Yao Matthieu :
Notre centre de jeunesse agit comme un point central où nous réunissons nos concitoyens pour leur transmettre les informations provenant de l'État.
Nous expliquons clairement les enjeux et les démarches à suivre. Conscients de l'importance capitale de la communication, nous nous efforçons d'adapter notre langage.
Si les informations initiales sont données en français, la langue officielle, nous veillons à les traduire et à les clarifier en langues locales pour ceux qui ne parlent pas le français.
Cette approche multilingue est vitale pour éviter toute exclusion et garantir une compréhension commune. De plus, nous transmettons fidèlement les directives et les connaissances communiquées par les autorités préfectorales et les envoyés de l'État lors de nos rencontres.
Cependant, nous faisons face à des défis logistiques, notamment le manque de moyens matériels tels que des mégaphones et des lieux de rassemblement appropriés.
Un soutien accru de la part des autorités locales notamment le corps préfectoral, le Conseil régional et la Mairie, serait indéniable pour renforcer notre capacité à informer efficacement la population et à garantir que chacun soit au même niveau d'information.
Malgré ces contraintes, nous nous efforçons de faire en sorte que chaque membre de notre communauté soit informé et puisse prendre part pleinement aux processus démocratiques et de consolidation de la paix.
Infodirecte.net : Vous avez évoqué la nécessité de guérir les blessures persistantes de la crise passée et de bâtir une réconciliation véritable. Quelles actions concrètes estimez-vous encore indispensables pour atteindre cet objectif ?
Nanan Konan Yao Matthieu :
L'analyse de l'élément déclencheur de la crise et des meurtrissures qui en découlent est également primordiale pour définir avec précision la trajectoire vers un avenir meilleur.
Ceux d'entre nous qui ont traversé la guerre, à l'image de Bouaké, en ont une intime conviction. Un proverbe africain l'illustre bien : « L'homme qui a vu le lion et celui qui ne l'a pas vu n'ont pas la même manière de courir ».
Notre vécu nous offre une vision singulière et une conscience vive de ce qui est indispensable pour progresser.
Infodirecte.net : Face aux défis persistants de la réconciliation nationale, quel message essentiel souhaitez-vous adresser aux responsables politiques ?
Nanan Konan Yao Matthieu :
Je fais particulièrement appel au président de la République, promoteur du vivre ensemble, pour qu'il prenne l'initiative d'organiser un Conseil national rassemblant toutes les composantes de la nation, afin de dialoguer et de construire un langage commun pour l'avenir.
Comme le premier président Félix Houphouët-Boigny l'a si justement dit, il est facile de déclencher une guerre, mais infiniment plus difficile de réconcilier les cœurs meurtris. N'oublions jamais les souffrances causées par les conflits.
Pour progresser, il est indispensable de mettre en place des espaces de dialogue inclusifs, des "panels" où toutes les voix peuvent s'exprimer. Nous sommes tous des enfants de cette nation, et il revient au Président, figure d'autorité, de montrer la voie vers la paix et la réconciliation.
Nous reconnaissons les avancées significatives réalisées sous la présidence de Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara en matière de développement.
Il est crucial de préserver ces acquis et de ne pas les compromettre par des divisions internes. L'héritage que nous laisserons à nos enfants dépend de notre capacité à surmonter nos différends et à favoriser l'unité nationale.
Je le dis donc avec insistance : asseyons-nous et parlons d'une seule voix, dans l'intérêt supérieur de la Côte d'Ivoire. Pensons à notre pays avant nos intérêts personnels. C'est le message essentiel que je souhaite transmettre.
Infodirecte.net : Si je comprends bien, il est impératif que cette initiative de l’organisation d’un conseil national se tienne avant les élections ?
Infodirecte.net : Au-delà de la convocation d'un conseil national, quelles mesures concrètes recommandez-vous pour promouvoir une meilleure compréhension et un climat de confiance entre les citoyens et les responsables politiques ?
Nanan Konan Yao Matthieu :
Il est impératif que nos élus multiplient les rencontres directes avec les communautés à la base. J'insiste sur ce point : la politique ne doit pas se faire uniquement dans les salons feutrés.
Nos autorités politiques et administratives doivent prendre leur bâton de pèlerin et aller à la rencontre de nos chefs de communautés, des leaders d'opinion, de la population dans son ensemble.
En agissant ainsi, ils pourront non seulement mieux comprendre les préoccupations des citoyens, mais aussi expliquer de manière transparente les actions du gouvernement et les enjeux auxquels le pays est confronté.
Nous, en tant que citoyens, sommes prêts à les appuyer dans cette démarche, à leur servir de courroie de transmission pour diffuser une information fiable et pour partager un savoir vivant avec nos concitoyens. C'est là, je crois, la clé d'une cohésion nationale renforcée.
Il existe malheureusement des voix discordantes qui souhaiteraient voir notre pays sombrer dans le chaos, mais ce n'est pas notre aspiration.
Le Président Alassane Ouattara a accompli un travail considérable, et il est de notre responsabilité collective de valoriser ces réalisations et de construire sur ces fondations solides pour l'avenir.
Infodirecte.net : Quel message souhaiteriez-vous adresser aux futurs candidats à l'élection présidentielle de 2025, afin qu'ils contribuent à un climat électoral apaisé et respectueux ?
Les mots ont un pouvoir immense, ils peuvent unir ou diviser, guérir ou blesser. Il est impérieux d'éviter tout discours incitant à la haine ou à la division.
Je les appelle à dialoguer, à se comprendre, à placer l'intérêt supérieur de la Côte d'Ivoire au-dessus de leurs ambitions personnelles.
Rappelons-nous que ce pays nous survivra, et que nous sommes tous appelés à construire un héritage de paix pour les générations futures.
L'idéal serait de voir une élection où le vaincu félicite le vainqueur, comme nous l'avons vu récemment avec mon jeune frère Kouadio Konan Bertin dit «KKB».
C'est ce type de comportement responsable et républicain qui renforce la cohésion nationale et préserve la stabilité de notre pays.
Ayant vécu les heures sombres de notre histoire, je ne peux me résoudre à voir la Côte d'Ivoire replonger dans le chaos.
J'exhorte donc les futurs candidats à faire preuve de sagesse et de responsabilité, à adopter un langage qui rassemble et qui apaise, et à rejeter toute forme de discours haineux ou clivant.
Réalisé par Patrick KROU à Bouaké.