COLLOQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONALINTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET MÉTAVERSE : ENJEUX TECHNIQUES, ÉTHIQUES ET IMPACTS SOCIAUX

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03/07/2023 - 10:40
COLLOQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONALINTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET MÉTAVERSE : ENJEUX TECHNIQUES, ÉTHIQUES ET IMPACTS SOCIAUX

Conférence inaugurale : Quelle éthique pour l'Intelligence Artificielle en Afrique ? 

L’Université Virtuelle de Côte d’Ivoire (UVCI) a organisé le 29 juin 2023,  un colloque scientifique international sur l’Intelligence Artificielle en partenariat avec le Programme Thématique de Recherche du CAMES ’’Technologie de l’Information et de la Communication’’, la Délégation permanente de la Côte d’Ivoire auprès de l’UNESCO à Paris et en collaboration avec la Chaire UNESCO de Bioéthique de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké et la Commission nationale ivoirienne pour l’UNESCO.

À la faveur de ce colloque, le Professeur Lazare Poamé, Titulaire de la Chaire UNESCO de Bioéthique, Membre associé de l’Académie royale de Belgique, Président honoraire de l’Université Alassane Ouattara et Président du Réseau Scientifique International Bioéthique & Développement, a ouvert la série des communications avec une conférence ainsi intitulée : Quelle éthique pour l'Intelligence Artificielle en Afrique ? 

Cette conférence s’inscrit dans le prolongement de celle que le Pr Lazare Poamé a donnée le 17 mai 2023, à l’Université de Bordeaux, à l’invitation de la Chaire UNESCO Pratiques Émergentes en Technologies et Communication pour le développement de l’Université de Bordeaux Montaigne. « Prolégomènes à une utilisation éthiquable de l’Intelligence Artificielle en Afrique », tel était le sujet de cette communication.

Pour cette conférence inaugurale donnée à l’UVCI, il s’agissait donc pour le Professeur Lazare Poamé d’aller au-delà de l’éthiquable en abordant la question de l’éthique proprement dite concernant l’Intelligence Artificielle en Afrique.

Pour répondre adéquatement à cette question, le Professeur Lazare Poamé a d’abord clarifié le sens de l’expression « éthique pour l’intelligence artificielle » et proposé une approche chronologique de quelques définitions de l’intelligence artificielle allant de 1956 à 2021.

Un fait est indéniable, a-t-il affirmé :  l’Intelligence Artificielle (IA) est aujourd’hui présente dans presque tous les secteurs d’activité : la santé, l’éducation, l’agriculture, le transport, le commerce, l’industrie, la communication, la sécurité et la finance. En outre, presque partout en Afrique, les initiatives se multiplient en faveur du déploiement des systèmes d’IA. Cette présence non pas virtuelle, mais effective de l’IA en Afrique et les frémissements qu’elle suscite en raison de ses effets pervers, s’exprime dans le meilleur des cas comme un besoin d’éthique, une éthique pour l’IA ou de l’IA selon les circonstances.

Pour le conférencier, l’éthique pour l’IA en Afrique est structurée par une triple exigence :

1.     L’identification lucide des problèmes éthiques inhérents au déploiement et à l’utilisation des systèmes d’IA ;

2.     La connaissance des principes et théories éthiques pouvant servir de socle à l’élaboration d’une éthique pour l’IA en Afrique ;

3.      L’appropriation du substrat de la Recommandation de l’UNESCO sur l’éthique de l’IA.

Sur les problèmes éthiques induits ou amplifiés par l’avènement de l’IA, le Professeur Poamé en a répertorié dix (10) :

-       Les biais et discriminations algorithmiques ;

-       Le consentement artificieusement arraché aux utilisateurs d’IA ;

-       L’opacité des mécanismes computationnalisés de prise de décision ;

-       L’exploitation risquée et même abusive des données incluant la menace sur la vie privée ou la question de la confidentialité des données ;

-       Le brouillage de la différenciation entre l’apocryphe et l’authentique, le vrai et le faux être-là (deepfakes);

-       L’addiction à l’intelligence superficielle qui fait passer la guerre pour une activité ludique ;

-       La déresponsabilisation de l’humain qui s’en remet parfois à ce que la machine a émis comme « décision » ;

-       La prolifération de nouvelles formes d’anthropomorphisme ;

-       Le dépérissement de la sensibilité esthético-poétique du langage humain comme logos mêlé d’axios ;

-       La ruse de l’assistance technoscientifique sous toutes ses formes.

Pour résoudre ces problèmes à dimension éthique, le recours à des principes de bioéthique est nécessaire, selon lui, étant donné que l’IA est décrite par certains éthiciens et bioéthiciens comme le nouveau territoire de la bioéthique. Ce sont les principes d’autonomie, de non-malfaisance, de bienfaisance et de justice.

Il poursuit ses propos en précisant que ces principes, mis à jour et consolidés par l’UNESCO à travers la Déclaration universelle sur la bioéthique, se retrouveront lumineusement dans la Recommandation de l’UNESCO sur l’éthique de l’IA.

Mais, ces principes, fait remarquer le conférencier, sont tributaires des théories ou courants éthiques hérités de la philosophie et devenus incontournables dans la réflexion sur le phénomène technique. Ce sont les courants ontologique, déontologique, axiologique, utilitariste ou conséquentialiste, axiologique, personnaliste et féministe.

Diversement inspirées par les principes de la bioéthique et les courants éthiques susmentionnés, des organisations internationales, telles que l’OCDE, la Commission européenne et l’UNESCO ont diffusé, à travers le monde, des lignes directrices et recommandations sur l’éthique de l’intelligence artificielle. Toutefois, de ces trois organisations, c’est l’UNESCO qui a retenu l’attention du Pr Poamé et cela, pour trois raisons essentielles :

1.     Le texte de la Recommandation de l’UNESCO présente avec une exhaustivité remarquable les valeurs et les principes éthiques de l’IA, puis décrit in extenso les domaines stratégiques auxquels doivent s’appliquer ces valeurs et ces principes ;

2.     La Recommandation de l’UNESCO a la particularité d’offrir un cadre normatif mondialement adopté, qui porte la marque des pays africains dont les experts et les représentants officiels (y compris  lui-même), ont contribué à son élaboration.

3.     Les États membres de l’UNESCO, notamment les États africains ayant adopté en toute responsabilité cette Recommandation, il s’agit maintenant de la mettre en œuvre.

Il appert donc que les repères de l’éthique pour l’IA en Afrique peuvent être trouvés dans la Recommandation de l’UNESCO dont le substrat a été présenté  par le conférencier sous deux registres. Les valeurs et les principes d’une part, puis les domaines d’action stratégiques d’autre part.

Les valeurs et les principes sont énumérés comme suit :

Respect, protection et promotion des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la dignité humaine /Environnement et écosystèmes qui prospèrent/ Diversité et inclusion assurées/ Sociétés pacifiques, justes et interdépendantes / Principes de proportionnalité et d’innocuité / Sûreté et sécurité /Équité et non-discrimination / Durabilité / Droit au respect de la vie privée et protection des données / Surveillance et décision humaines / Transparence et explicabilité / Responsabilité et redevabilité

Sensibilisation et éducation / Gouvernance et collaboration multipartites et adaptatives.

Pour les domaines d’action stratégique, le conférencier en a retenu huit (8) qui se présentent comme suit :

Le premier est l’Évaluation de l’impact éthique : l’UNESCO recommande aux États membres de « mettre en place des cadres pour identifier et analyser les avantages et les risques des systèmes d’IA et les questions qu’ils soulèvent, ainsi que des mesures appropriées de prévention, d’atténuation et de suivi des risques, entre autres mécanismes de certification ».

 Le deuxième concerne les politiques en matière de données ; il est recommandé aux États membres « d’établir leurs politiques en matière de données ou leurs cadres équivalents, ou renforcer les politiques et cadres déjà existants, afin d’assurer une sécurité totale pour les données personnelles et sensibles qui, si elles étaient divulguées, risqueraient de causer des dommages, des blessures ou des difficultés exceptionnelles aux personnes ».

Cette recommandation renvoie au principe classique de la non-malfaisance et au nouveau principe, celui de la vie privée et de la confidentialité.

Le troisième est l’Écosystème et l’environnement pour lesquels « les États membres devraient garantir que tous les acteurs du domaine de l’IA respectent les législations, les politiques et les pratiques relatives à l’environnement ».

Le quatrième est l’Égalité des genres : « les États membres devraient veiller à ce que le potentiel des technologies numériques et de l’intelligence artificielle soit pleinement optimisé afin de contribuer à l’égalité des genres, et à ce qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits humains et aux libertés fondamentales des filles et des femmes, ni à leur sécurité et à leur intégrité, à aucun stade du cycle de vie du système d’IA ».

Le cinquième domaine retenu est la Culture : l’UNESCO encourage les États membres « à examiner et à traiter les répercussions des systèmes d’IA sur la culture » de sorte à réduire les inégalités culturelles.

Le sixième est l’Éducation et la recherche : l’UNESCO recommande « la transmission au grand public de tous les pays, à tous les niveaux, les connaissances nécessaires à la maîtrise de l’IA, de façon à autonomiser la population et à réduire les fractures numériques et les inégalités d’accès dans le domaine du numérique découlant de l’adoption à grande échelle de systèmes d’IA ».

Les initiatives de recherche portant sur « l’utilisation responsable et éthique des technologies de l’IA dans l’enseignement » doivent aussi être encouragées à cet effet. C’est également le lieu de souligner que la vigilance à l’égard de l’IA générative (Chat GPT) doit être  renforcée.  

Le septième est la Communication et l’information : « les États membres devraient investir dans les compétences numériques et l’éducation aux médias et à l’information et les promouvoir, afin de renforcer la pensée critique et les compétences indispensables pour comprendre l’utilisation et les implications des systèmes d’IA, en vue d’atténuer et de combattre la désinformation, la mésinformation et le discours de haine ».

Enfin, le huitième est le Bien-être social et la santé : l’UNESCO recommande, par exemple, de « s’assurer que le déploiement des systèmes d’IA dans le domaine des soins de santé se fait dans le respect du droit international ainsi que des obligations qui leur incombent en matière de droits de l’homme ».

 

À y regarder de près, toujours selon le Pr Lazare Poamé, les idées-forces de cette recommandation, de façon générale, sont structurées par la nécessité de :

 

1.     déterminer des cadres réglementaires et juridiques de gestion éthique des systèmes d’IA ;

2.     respecter les principes et les valeurs énoncés dans la Recommandation de l’UNESCO dans tous les secteurs d’utilisation de l’IA ;

3.     soutenir l’éthique de l’IA par la coopération, la recherche et la formation.

 

Et le conférencier de conclure en affirmant que ces lignes directrices issues de la Recommandation de l’UNESCO constituent le substrat épistémique et axiologique de ce que doit être une éthique pour l’IA en Afrique. Sur cette voie, il préconise le recours à l’éthique procédurale de la discussion ou au procéduralisme éthique comme démarche méthodologique.

Celle-ci, dit-il, pourrait être utile pour éviter les écueils du contextualisme fort et de l’universalisme abstrait. Il termine en soulignant que cette posture offre l’occasion aux Africains de faire valoir leur génie inventif, leur sens de l’humain, aujourd’hui perverti, et ce qu’il convient d’appeler la solidarité anthropobiocosmique jadis bien présente dans leur cosmogonie.