Adjé Arnaud, fils du comédien Adjé Daniel implore :« Que mon père finisse sa maison de son vivant »

Adjé Arnaud, fils du comédien Adjé Daniel implore :« Que mon père finisse sa maison de son vivant »

03/11/2024 - 17:49
Adjé Arnaud, fils du comédien Adjé Daniel implore :« Que mon père finisse sa maison de son vivant »
Adjé Arnaud, fils du comédien Adjé Daniel implore :« Que mon père finisse sa maison de son vivant »

Adjé Arnaud, fils du comédien Adjé Daniel implore :« Que mon père finisse sa maison de son vivant »

Dans cette interview-portrait, Adjé Arnaud Alfred parle pour la première fois de la situation délicate de son père, de l’impact de l’AVC doublé de l’hypertension artérielle qui affecte tout le quotidien de la famille du comédien ivoirien : celui qui « a donné le sourire à plusieurs générations d’Ivoiriens », comme il aime à le rappeler.

Le comédien Adjé Daniel (à gauche) et son fils Adjé Arnaud, photographiés pendant la séance d'interview le dimanche 20 octobre 2024.

Dimanche 20 octobre 2024. Il est 10h55 lorsque je traverse la ruelle principale qui conduit au domicile du comédien, dans le quartier Sicogi 1 de Koumassi, salle des fêtes. Les nombreux véhicules stationnés de part et d’autre de l’unique voie bitumée montrent bien que c’est un jour férié.

Cette cité dortoir au cœur d’Abidjan grouille déjà de monde à cette heure. Sur un espace vert, un mini maracana de gamins tient en haleine les passionnés de foot. Les riverains, quant à eux, se bousculent, se chamaillent presque devant les étals d’une commerçante de plats d’attiéké-poisson.

Le spectacle est si captivant que mon attention en est attirée. Je m’arrête un instant pour admirer les éclats de voix entre ces adultes qui s’invectivent et se regardent en chiens de faïence.

Tout cela pour un simple morceau de poisson. Devant l’habitation d’Adjé Daniel, un véhicule bâché de type 4x4, de couleur verte et mis sur cale, est recouvert d’une épaisse couche de poussière, ce qui témoigne d’un long stationnement. Deux ans, une ou deux décennies … peut-être ? 

À 11h05, je franchis le seuil du portail en fer, recouvert de peinture gris clair, entrouvert. Je tombe nez à nez avec Brigitte, la domestique qui s'affairait à la lessive.

Elle m’apprend à brûle-pourpoint qu'Adjé Arnaud, fils du comédien, vient à peine de partir. « Certainement que nous nous sommes croisés en chemin », me dit-elle.

« Le voici là-bas portant un débardeur blanc », m’indique Brigitte. Au pas de course, je le rattrape in extremis. Dieu ne m’a pas donné de longues jambes pour rien, pensai-je.

« Monsieur Adjé ! », ai-je lancé. L’homme s’immobilise aussitôt et se retourne vers moi, me surprenant par sa promptitude : « Oui, monsieur ? »

« C’est Krou, le journaliste », déclarai-je, encore essoufflé après mon sprint de 20 mètres digne d'une Formule 1. « Je te prie de patienter un instant ici, je dois transférer de l’argent, ensuite nous retournerons à la maison. » Il m’installe dans une gargote dans la ruelle du quartier Sicogi. 

Je me demande in petto comment j’ai pu ne pas remarquer cet homme de quarante ans qui ressemble comme une goutte d’eau à son père.

Quinze minutes plus tard, Adjé Arnaud, deuxième enfant d’une fratrie de sept (deux filles et cinq garçons), horloger de profession, vient me chercher et me demande de le suivre. Nous revenons sur nos pas.

À l’intérieur de la maison, je découvre l’épouse d’Adjé Daniel, souffrant de graves problèmes de vue

— elle ne voit plus du tout

— et se déplaçant à l’aide d’un dispositif roulant. Je la salue. Elle me répond en tentant de suivre du regard la provenance de ma voix. Le fils qui m’avait précédé à l’entrée de la maison, entre dans une première chambre et m’invite à m’asseoir sur une chaise.

Deux minutes plus tard, il dit : « Monsieur Krou, vous pouvez entrer. » J’entre et m’installe sur l’une des deux chaises disposées.

Dans cette chambre austère, Adjé Daniel, assis sur son lit, il a l’allure d’un homme affaibli par des pathologies. Son visage, couvert de poils blancs dégage un regard profond, reflétant le poids et les conséquences de l’hypertension artérielle et des deux accidents vasculaires cérébraux (AVC) qui n’ont pas eu raison de lui.

Après un coma qui avait ameuté le pays tout entier, Adjé Daniel a miraculeusement gardé la vie. Pouvait-il en être autrement ? Lui, qui avait affronté la grande faucheuse « Les mains vides », comme dans la célèbre pièce théâtrale éponyme écrite par Miezan Boni, auteur ivoirien.

Je me remémore ma première rencontre avec lui, le samedi 14 septembre 2024. Ce jour-là, Adjé Daniel m’avait accueilli avec un sourire, mais surtout avec ses incessants claquements de doigts. Frustré, tel un chasseur revenant bredouille d’une partie de chasse, j’étais rentré chez moi, « Les mains vides ».

 « Monsieur Krou, papa vous tend la main », m’interpelle soudain Adjé Arnaud Alfred, né en 1973, deuxième fils d’Adjé Daniel et horloger depuis 2001. Il assure un intérim à l'horlogerie « Riscles » au Plateau.

Quels souvenirs vous restent-ils des pièces de théâtre que votre père a mises en scène et qui vous ont marqué ?

Toutes les pièces de théâtre m'ont marqué. En particulier, il y en a une qui m'a vraiment captivé que je veux la revoir aujourd’hui : ‘’La couronne aux enchères’’ d’Amon d’Aby.

-Papa, c’était une pièce d’Amon d’Amon d’Aby, non ?», s’interroge-t-il en se tournant vers son père.

-Oui ! répond-t-il Adjé Daniel d’une voix grave et épuisée.

C'est cette pièce que je voulais revoir parce que j'étais encore enfant lorsqu'il la jouait. J'aimerais la revoir pour mieux la comprendre aujourd'hui.

En 2001, votre père est victime d’un accident cardiovasculaire (AVC). Pouvez-vous expliquer comment cela est-il arrivé ?

Moi, honnêtement, je n'étais pas là. Ma mère étant aussi malade, j'étais avec elle au Ghana. J'y ai passé neuf (9) mois. Et c'est au bout du dixième mois que j'ai appris que mon père était malade. J'ai dû quitter ma mère pour venir voir ce qui se passait ici (NLDR : à Abidjan), car il n'y avait personne pour soutenir mes frères. C'est ainsi que je suis rentré au pays.

Adjé Daniel, le comédien, incarne le personnage de Gnabou dans la pièce 'Les mains vides' de Miezan Boni qui fut diffusée dans l'émission 'Théâtre chez nous' sur la chaîne nationale.

23 ans après la survenue de l’AVC, pouvez-vous décrire l’impact de cette maladie sur la vie de votre père ?

Je peux dire que c'est l'une des maladies les plus graves qui puissent exister. L'AVC est une maladie humiliante. Quand elle survient, elle vient nous - les humains - montrer que vanité, tout est vanité. Elle nous montre que dans la vie, tout ce que nous faisons, c'est zéro et que nous ne sommes rien, en réalité.

Et depuis que mon père a sombré dans cette maladie, sincèrement, nous faisons tout ce que nous pouvons pour le soutenir. Grâce à Dieu, il est encore là.

Mais avant l’AVC, votre père souffrait déjà de l’hypertension artérielle. N’est-ce pas ?

Quand il allait voir son médecin traitant et que sa tension artérielle montait, ce jour-là, nous étions tous dans le même bateau.

Et quand il rentrait, il disait : « À partir d'aujourd'hui, tout le monde est sans sel. » On le faisait pendant un mois, puis on relâchait un peu.

Ce n'est pas qu'il ne faisait pas attention, il suivait cela de près. Mais la chose est cependant arrivée. C'est comme ça, la vie. 

Adjé Daniel, saisi le bras de son fils qui tenait le micro de mon nagra et d’une voix lourde comme si la langue lui pesait « Comme le disait le vieux Bété, quand le malheur veut arriver, il arrive.» Son fils m’éclaircie le fond de la pensée du comédien. « L’AVC ne prévient pas, il vous surprend. C'est ce que papa veut dire », a expliqué Adjé Arnaud.  

Comment la maladie de votre père a-t-elle impacté la vie de la famille et des proches ? 

Nous avons dû tout laisser de côté, prendre le taureau par les cornes et suivre la situation de très près. Nous savons que c'est difficile. Certaines personnes qui ont eu un AVC sont parvenues à retrouver une vie relativement normale. D'autres, malheureusement, n'ont pas survécu longtemps après avoir été touchées. Mais lui, il a fait deux AVC. Le premier en 2001 et le second en 2004. Il a été plongé deux fois dans le coma par la faute de cette maladie. Cela montre qu'il vient de loin. Quand nous le voyons aujourd'hui, cela nous fait vraiment plaisir.

Personnellement, je considère mon père comme mon passeport diplomatique. Grâce à lui, j'ai pu aller très loin, sur plusieurs continents. Quand j'arrive quelque part, on dit : « C'est le fils d'Adjé. » Même si nous n'avons pas beaucoup d'argent, son nom nous ouvre des portes.

Quant à son traitement, il y avait un docteur, le Dr N’guessan, qui le suivait de près. C'était un neurologue qui est parti se former en France. Depuis, nous n'avons plus de nouvelles de lui. Il travaillait au CHU de Cocody, au 13e étage. C'est là-bas que mon père se faisait suivre. J'ai pris plusieurs rendez-vous avec d'autres neurologues pour assurer son suivi.

La dernière fois qu'il a consulté, c'était en 2010, à la PISAM, où les soins ont été pris en charge par le président Gbagbo à l'époque. Il y a passé un mois avant de rentrer à la maison. Depuis lors, nous faisons juste des contrôles réguliers et renouvelons ses médicaments.

Le comédien Adjé Daniel dans le rôle de Gnabou, et la comédienne Pani Margueritte dans le rôle de Béa, dans la pièce théâtrale "Les Mains Vides" de Miezan Boni, diffusée dans l'émission "Théâtre chez nous" sur la chaîne nationale.

En 2013, le ministre de la Culture, Maurice Bandaman avait proposé que certains artistes perçoivent une pension de la présidence de la République. Est-ce que cette assistance continue d'être versée à Adjé Daniel ?

Oui, ça continue. Le premier jour, je lui ai dit qu'à partir de maintenant, il recevra une pension alimentaire à la fin de chaque mois. L’État lui donnerait quelque chose pour s'occuper de ses médicaments et de sa nourriture.

Il m’avait demandé à l’époque : « ça se fait ? » Je lui ai répondu : « Oui, ça se fait. » En toute sincérité, c'est vrai que le président Gbagbo est venu voir mon père deux fois, mais il ne figurait pas sur la liste de ceux qui recevaient les 500 000 francs à cette époque.

Il n'était pas sur cette liste, mais cela ne l'a pas affecté. Il ne s'est pas plaint, il n'a pas crié. Tout ce que Dieu fait est bon. Le jour est finalement arrivé et c'est sous le président Alassane Ouattara, grâce au ministre Bandaman, que cela a été fait. Jusqu'à ce jour, il perçoit cette pension.

Comment cette pension mensuelle est-elle gérée ?

C'est moi-même qui gère cet argent. Quand il arrive à la fin de chaque mois, je m'occupe de payer ce qui est nécessaire, c'est-à-dire tous ses médicaments. Actuellement, il ne peut pas se déplacer, il ne peut même pas se lever pour aller quelque part. En fait, je m'occupe de tout : son petit-déjeuner, ses médicaments, les soins corporels, tout est payé et prêt pour lui. Ensuite, je gère le reste au quotidien. Il a les trois repas comme on le dit.

Votre père a été élevé au grade de chevalier par deux fois puis commandeur. Que souhaiteriez-vous que votre père obtienne en termes de reconnaissance de l'État pour tout ce qu'il a accompli, afin qu'il ne soit pas oublié dans le milieu du théâtre ? Quelle est votre demande concrète à cet égard ?

Avant que le fils ne prenne la parole, alors que je m'y attendais le moins, le comédien s'exprime à ma grande surprise, avec une voix nonchalante : « Les médailles-là, elles ont fait quoi pour moi ? »

Il dit que la médaille ne lui sert à rien. La première question est : comment va-t-il renouveler ses appareils d'horlogerie ? C'est ce qui lui permet de vivre. C'est un problème. Ensuite, il avait commencé à construire sa maison à Bonoua, et après avoir reçu sa médaille en 2001, c'est à ce moment-là qu'il est tombé malade. Donc, la maison est restée à l'abandon, envahie par la végétation. Voici deux préoccupations majeures.

Quel message aimeriez-vous transmettre aux admirateurs de votre père ?

Il faut rappeler que ceux qui ont vu ses spectacles savent qu’il n’est pas en grande forme aujourd'hui. Tout ce que je peux dire pour le moment, c'est que, bien avant qu'il ne rende son dernier soupir, il y aura des jeunes qui interpréteront ses différentes pièces de théâtre pour lui rendre hommage. Ce n'est pas après sa mort qu'on le fera, mais pendant qu'il est encore là. Actuellement, nous sommes en coulisses, en train de préparer ces pièces avec des jeunes qui souhaitent vraiment faire du théâtre populaire.

Je suis reconnaissant envers Dieu et envers tous ceux qui continuent de prier pour Adjé Daniel. Je remercie également le président de la République pour son soutien, ainsi que la population qui garde toujours Adjé Daniel dans ses pensées.

 

Interview réalisée par Patrick KROU

(À suivre...)