MILIEU CARCÉRAL EN CÔTE D’IVOIRE: UNE VIE D’HORREUR ET D’INHUMANITÉ DERRIÈRE LES BARREAUX
MILIEU CARCÉRAL EN CÔTE D’IVOIRE: UNE VIE D’HORREUR ET D’INHUMANITÉ DERRIÈRE LES BARREAUX
Pour comprendre les conditions de détention et les droits des personnes privées de liberté en Côte d’Ivoire, nous avons réalisé un dossier que nous publions en trois parties, accompagné d'une interview d'un ex-détenu de la MACA. Première partie.
Le milieu carcéral en Cote d’ivoire est assez précaire
Le système carcéral ivoirien est composé de 37 établissements pénitentiaires, dont un pôle pénitentiaire (ancien MACA à Abidjan), deux maisons pénales (le camp pénal à Bouaké et la Maison d'arrêt militaire d'Abidjan), ainsi que des maisons d'arrêt. et de correction réparties dans 23 villes de Côte d'Ivoire : Abengourou, Aboisso, Adzopé, Agboville, Bouna, Bassam, Bondoukou, Bouaflé, Dabou, Daloa, Dimbokro, Divo, Gagnoa, Katiola, Korhogo, Man, Oumé, Sassandra, Tiassalé et Toumodi.
La population carcérale est estimée à 21 000 personnes détenues. Ces personnes privées de liberté bénéficient de droits reconnus et encadrés par un cadre légal, notamment le droit à la dignité, à un traitement humain et aux soins médicaux.
Cependant, les conditions carcérales en Côte d'Ivoire sont souvent dénoncées par les organisations de défense des droits humains. Les prisons ivoiriennes sont caractérisées par la surpopulation, des conditions de vie précaires, une augmentation du risque de maladies, un accès limité aux soins de santé et à l'assistance juridique, une alimentation insuffisante et parfois « impropre à la consommation », ainsi qu' 'une détention préventive prolongée.
De plus, il existe un manque de réhabilitation et de réinsertion sociale, ainsi que des discriminations et une vulnérabilité accumulée pour certains groupes spécifiques. Ces éléments, malgré certaines réformes et initiatives en cours, constituent des violations des droits fondamentaux des détenus.
La question se pose : en quoi les conditions de détention en Côte d'Ivoire constituent-elles une souffrance en matière de droits humains ? Plus précisément, les détenus ivoiriens sont-ils traités conformément aux normes des droits humains ? Cette problématique soulève deux axes principaux : d'une part, les conditions matérielles de détention et les abus ou violations des droits, et d'autre part, les perspectives de réformes.
DROITS DES DÉTENUS EN CÔTE D'IVOIRE : CADRE LÉGAL ET PROTECTION DES LIBERTÉS
Selon l'article 1 du Décret n°2023-239 du 5 avril 2023 portant réglementation des établissements pénitentiaires et fixant les modalités d'exécution de la détention des personnes, la personne privée de liberté, ou le détenu, est « la personne faisant l 'objet d'une mesure privative de liberté au sein d'un établissement pénitentiaire, qu'il s'agisse d'un condamné, d'un prévenu ou d'un contraignable par corps. »
Cette définition englobe tout endroit où une personne est privée de liberté, y compris les prisons, les postes de police et de gendarmerie, les centres pour mineurs, les institutions psychiatriques, les cellules pour personnel militaire, et tout autre lieu de privation de liberté. .
Le Code de procédure pénale, dans ses articles 721 et suivants, définit les lieux d'exécution des peines privatives de liberté en Côte d'Ivoire. Ces articles proscrivent l'usage de la torture, qui est défini à l'article 1, alinéa 1 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, comme « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës , physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une autre personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle, ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne (...) lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. »
Par ailleurs, ils bénéficient d'une protection par des textes tant contraignants que non contraignants, soumis à la ratification ou à l'adhésion des États. Au niveau national, cinq lois majeures sous-tendent le mécanisme national de protection des détenus. Il s'agit de la loi n°2016-886 du 8 novembre 2016 portant Constitution de la République de Côte d'Ivoire, de la loi constitutionnelle n°2020-348 du 19 mars modifiant la loi n°2016-886, du Code pénal tel que modifié par la loi n°2021-893 du 21 décembre 2021 (qui inclut le droit à l'assistance d'un avocat, le droit d'être informé des charges retenues contre eux et le droit à un procès public et équitable ), de la loi n°2018-975 du 27 décembre 2018 portant code de procédure pénale telle que modifiée par la loi n°2022-192 du 11 mars 2022, et de la loi n°2015-493 du 7 juillet 2015 portant répression du terrorisme. À ces lois s'ajoutent le Décret n°2023-239 du 5 avril 2023, le Décret n°2021-241 du 26 mai 2021 déterminant les modalités d'exécution de la peine de travail d'intérêt général, l'Arrêté n° 1/MJDHLP/DAP du 9 juillet 2015 fixant la ration alimentaire et la dotation en produits d'hygiène et d'entretien journaliers des détenus civils, ainsi que l'Arrêté n°642/MJDHLP/CAB du 29 décembre 2015 portant organisation et fonctionnement de la Direction de la protection judiciaire et de la jeunesse (DPJEJ).
Au niveau régional, la Charte africaine des droits de l'Homme et des Peuples (Charte de Banjul) fait figure de pionnière. On peut également citer la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, le Protocole à la Charte africaine des droits de l'Homme et des Peuples relatifs aux droits de la femme en Afrique, le Protocole à la Charte africaine des droits de l'Homme et des Peuples portant création d'une Cour africaine des droits de l'Homme et des Peuples (Protocole de Ouagadougou), ainsi que la Convention de l'OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme. Au niveau international, il s'agit de la Charte des Nations Unies, également appelée Charte de San Francisco, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), du Protocole facultatif se rapportant à ce Pacte, de la Convention relative aux droits de l'enfant, du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant concernant l'implication d'enfants dans les armées, de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, du Protocole relatif à cette Convention et de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
En bon élève, l'État de Côte d'Ivoire a ratifié plusieurs conventions en matière de droits humains, dont la Déclaration universelle des droits de l'Homme, la Charte africaine des droits de l'Homme et des Peuples, ainsi que les Pactes des Nations Unies relatives aux droits civils et politiques (PIDCP).
De plus, il a adhéré à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et aux textes non contraignants concernant il est partie, comme les Règles Nelson Mandela, les Règles minima (aussi appelées règles de Tokyo, qui portent sur l'élaboration de mesures non privatives de liberté), et les Règles de Bangkok (concernant le traitement des détenus et l'imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquants).
Règlement intérieur : assurer la protection des détenus en établissement pénitentiaire
La protection des détenus fait l'objet d'une veille quotidienne, car chaque établissement pénitentiaire a mis en place un règlement intérieur qui précise les droits et obligations des détenus. Ce règlement inclut des droits essentiels tels que le droit à la visite, à la santé et à l'éducation, souligne un cadre de l'administration pénitentiaire ayant témoigné sous le couvert de l'anonymat.
RÔLE DES INSTITUTIONS DE SURVEILLANCE ET DE VEILLE SUR LES DROITS DE L’HOMME
Garantir les Droits Humains en Côte d'Ivoire : rôle des Institutions et des ONG
Pour garantir le contrôle des droits humains, l'État de Côte d'Ivoire s'est doté de plusieurs institutions, notamment le ministère de la Justice et des Droits de l'Homme, dont les missions principales incluent la préparation de textes de loi et de règlements dans divers domaines, tels que le droit de la famille, la procédure civile et la procédure pénale. Ce ministère est également le garant du bon fonctionnement des juridictions (tribunaux et cours).
À ses côtés, la Commission Nationale des Droits de l'Homme de Côte d'Ivoire (CNDHCI), autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale, juridique et d'une autonomie financière, joue un rôle clé.
En tant qu'organe consultatif indépendant, le CNDH assure la protection et la promotion des droits de l'homme. Elle dresse un rapport sur la situation des droits humains sur tout le territoire national, encourage la ratification des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et veille à leur mise en œuvre effective au plan national.
De plus, elle promet l'harmonisation de la législation nationale avec les normes internationales. La CNDH a également pour mission la protection des personnes privées de liberté. Aux termes de l'article 2 de la loi n°2018-900 du 30 novembre 2018 relative à sa création, le CNDH procède à la visite des lieux de détention afin de prévenir la commission d'actes de torture ou de traitements inhumains ou dégradants, renforçant ainsi la protection contre de tels actes.
Cette prérogative est confirmée par l'article 123 du Décret n°2023-239 du 5 avril 2023, portant réglementation des établissements pénitentiaires et fixant les modalités d'exécution de la détention des personnes.
En outre, l'Autorité Nationale de la Presse (ANP) réglemente le secteur de la presse en veillant au respect de la liberté de presse et des dispositions légales en vigueur, ainsi qu'aux règles d'éthique et de déontologie de la profession de journaliste.
L'ANP garantit le pluralisme de la presse, exerce un pouvoir disciplinaire sur les acteurs du secteur, et veille au respect des règles relatives à la création, à la propriété et aux ressources des entreprises de presse.
Quant à la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), elle est chargée de réguler la communication audiovisuelle en Côte d'Ivoire. Parmi ses missions, la HACA garantit l'accès et le traitement équitable des institutions de la République, des partis politiques, des associations et des citoyens aux organes officiels d'information et de communication.
Elle veille également à l'indépendance et à l'impartialité du secteur public de la communication audiovisuelle, notamment dans la radiodiffusion sonore et télévisuelle, tout en s'assurant du respect de l'éthique et de la déontologie en matière d'information.
Enfin, plusieurs organisations non gouvernementales, telles qu'Amnesty International, l'Observatoire Ivoirien des Droits de l'Homme (OIDH), Prisonniers sans frontières et la Ligue Ivoirienne des Droits de l'Homme (LIDHO), jouent un rôle crucial dans la surveillance et la protection des droits des détenus en Côte d'Ivoire.
Le pôle pénitentiaire d'Abidjan (PPA) détient à lui seul un tiers de la population carcérale en Côte d'Ivoire.
VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS ET ABUS DURANT LA DÉTENTION EN CÔTE D'IVOIRE
Surpopulation carcérale
D'après le rapport d'enquête 2023-2024 intitulé « Impacts de la surpopulation sur les droits de l'homme dans les établissements pénitentiaires », la population carcérale globale en Côte d'Ivoire est estimée à 25 121 personnes détenues dans des établissements construits. pour accueillir seulement 7 885 détenus.
Cette situation conduit à un taux d'occupation alarmant de 318,59 %. Le nombre de prévenus, s'élève à 8 262 personnes, soit 32,88 % de la population carcérale totale, dépasse largement les capacités d'accueil prévues.
La Maison d'Arrêt et de Correction (MACA), renom
mée Pôle pénitentiaire d'Abidjan (PPA) par l'arrêté n°209 du 18 août 2023, est l'établissement le plus surchargé, avec 9 179 détenus pour 3 246 places, représentant 36,53 % de l'effectif carcéral total, selon ce même rapport.
D'autres établissements sont également gravement surpeuplés, comme le camp pénal de Bouaké (2 184 détenus pour 740 places), la maison d'arrêt de Daloa (1 574 détenus pour 270 places) et celle de Man (1 375 détenus pour 250 places).
Le rapport souligne également la répartition par sexe et par âge : la population carcérale est composée à 93,53 % d'hommes, 2,54 % de femmes et 3,93 % de mineurs. Tandis que le taux de surpopulation carcérale en Côte d'Ivoire atteint 200 %, il est de 103 % aux États-Unis et de 115 % en France.
Conditions de détention en Côte d'Ivoire : un quotidien inhumain et dégradant
En Côte d'Ivoire, les conditions carcérales sont régulièrement dénoncées par les organisations de défense des droits de l'homme.
Selon les experts, les prisons ivoiriennes sont marquées par des conditions de vie précaires et un accès limité à l'assistance juridique. Dame Aline (nom modifié), une ancienne détenue rencontrée dans un quartier périphérique d'Abidjan, partage son expérience à la MACA.
« Les conditions de vie sont médiocres. Le matin, il est difficile d'accéder à la douche, car il y a trop de femmes pour une seule douche. Si vous avez la diarrhée, c'est vraiment compliqué. Ensuite, il faut vite trouver de quoi manger, car après 15h ou 16h, tout le monde est enfermé en cellule. La vie se déroule donc essentiellement en cellule. »
Elle évoque également les difficultés liées à l'alimentation et aux soins médicaux. « On prépare ses repas avec ce que la famille à l'extérieur peut envoyer, ou on réchauffe ce qu'on garde dans un réfrigérateur, mais tout le monde n'a pas cette chance.
Beaucoup n'ont personne pour leur fournir de la nourriture, et sans réfrigérateur, c'est encore plus difficile. Si une garde accepte d'acheter de la nourriture pour toi, tu dois la payer, souvent plus cher que le prix du plat. Quant à l’infirmerie, elle n’est pas ouverte en permanence.
En cas d'urgence, il faut prier que ça n'arrive pas après la fermeture. Obtenir des médicaments est un autre défi : il faut payer les gardes pour qu'ils les achètent, mais parfois, ils prennent l'argent et ne ramènent pas les médicaments », explique-t-elle, des larmes dans les yeux.
À la question de savoir comment le personnel pénitentiaire traitait les détenus, elle répond : « Leur respect dépendait uniquement de l'argent que tu étais capable de leur donner. »
Elle affirme aussi n'avoir jamais été informée de ses droits en détention et, pire, n'avoir jamais pu les exercer. « J'ai été témoin de violences entre détenus, et aussi entre gardes et détenus.
C'était fréquent. Moi-même, j'ai été victime de violences mentales et psychologiques », confie-t-elle, tout en reconnaissant que des cours d'alphabétisation étaient proposés comme programme de réhabilitation.
L'impact psychologique de la détention reste visible dans les yeux de Dame Aline. « Je suis sortie extrêmement déçue de l'administration publique. La corruption est omniprésente dans les prisons. Quant aux programmes de réinsertion professionnelle, ils n'existent tout simplement pas », déclare-t-elle, amère.
Même aux États-Unis, où les conditions de détention sont mieux organisées, les critiques persistantes, notamment sur l'isolement des détenus, les discriminations raciales et l'accès limité aux soins de santé mentale. En France, bien que les droits des détenus soient mieux respectés, la surpopulation et les défis liés à la réinsertion restent préoccupants.
Les détentions préventives prolongées, sans jugement, contribuent à la surpopulation des prisons et à l'allongement du temps passé derrière les barreaux. À Adjamé, Yalline (nom modifié), une ancienne détenue qui a souhaité témoigner sous anonymat, tente difficilement de reprendre sa vie en main après un an de détention préventive à la MACA, qu'elle décrit comme une « éternité ».
Bien que cela fasse désormais partie de son passé, Yalline garde un souvenir vivace de cette période sombre, marquée par la corruption et l'injustice. « C'était une véritable torture psychologique. On se réveillait chaque jour pour attendre la nuit, confinées dans un espace bien trop petit pour nous toutes. La cour du bâtiment des femmes fait environ 200 m² pour plus de 300 personnes. Parfois, selon l'humeur des gardes, on n'y avait même pas accès », raconte-t-elle.
Elle se souvient particulièrement des finitions des conditions de vie, notamment en matière de nourriture et de soins. « La nourriture est à la charge des détenus. Si vous n'avez pas d'argent, vous mourrez de faim. Pour les soins médicaux, l'infirmerie ne traite que les petites blessures. En cas de problème grave, il faut être transféré à l'extérieur, à vos frais. Si vous n'avez pas les moyens, vous êtes condamné à souffrir », explique-t-elle, en ajoutant : « En prison, l'argent fait loi. Vous êtes traité selon vos capacités financières. Moi, j'avais la chance d'avoir un peu de ressources, donc les gardes étaient plutôt gentils. Pour ceux qui n'ont rien, c'est une autre histoire. »
La violence, tant entre détenus qu'entre gardes et détenus, faisait partie du quotidien. « Les bagarres étaient quotidiennes. À l'époque, le régisseur Ouattara Siriki avait confié la gestion du bâtiment des femmes à une certaine lieutenant Koné Mariam, qui, avec son adjointe, se montrait particulièrement violente envers les détenues. Même si on connaît nos droits, il est pratiquement impossible de les exercer. Les gardes se méfient des détenues trop instruites et leur rendent la vie dure. »
Arrestation et détention : le témoignage de Kouakou N'goran Aimé
Des cas de maltraitance et torture au cours des arrestations et des détentions sont avérés. Rencontré dans la commune de Cocody-Angré, Kouakou N'goran Aimé César, ne mène plus une vie paisible. Ses téléphones sont sous écoute, sa famille est traumatisée à jamais, opine-t-il. L’existence de ce militant de la société civile ivoirienne a totalement changé quand il a été arrêté le 13 août 2020, à la suite de l'appel à la désobéissance civile contre le troisième mandat du président Ouattara. Ce syndicaliste, ex-agent au BNETD raconte le film de son arrestation et sa détention à la MACA.
« J’ai été kidnappé ce jour-là sur mon lieu de travail au BNETD, aux alentours de 9h, sur le parking, par des hommes cagoulés. Je me suis ensuite retrouvé à Sébroko.
Le 13 août, après l'appel de la présidente Pulchérie Gbalet contre le troisième mandat, moi, en tant qu'agent du BNETD et premier secrétaire général adjoint du Syndicat Libre des Travailleurs du BNETD, un syndicat que nous avions créé avec Mme Pulchérie Gbalet et d'autres collègues, j'ai participé aux activités de désobéissance civile. Bien que je n'étais qu'un sympathisant, j'avais des responsabilités au sein de l'entreprise.
Le 6 août 2020, après le discours du président de la République annonçant sa candidature, Mme Pulchérie Gbalet avait tenu une conférence de presse pour dénoncer cette décision. J'y étais présent. C'est à la suite de cette conférence et de son appel à la désobéissance que j'ai été arrêté le 13 août.
Ce jour-là, je reviens de repos maladie après une opération à la gorge. Je suis arrivé au travail tôt, vers 6 h du matin, pour éviter les embouteillages. Aux alentours de 8 h, le DRH du BNETD est arrivé. Il m'avait contacté auparavant pour discuter de certains problèmes syndicaux que j'avais pu régler pendant mon dépôt. Il m'avait dit qu'il souhaitait me voir vers 11 h. Pendant ce temps, les hommes de Sébroko avaient déjà été alertés de ma présence sur le site et cherchaient à me capturer.
Aux environs de 9 h, alors que je montais les escaliers pour aller prendre un café au kiosque du Bnetd, un de mes collègues m'a prévenu qu'il y avait des hommes en civil armés qui cherchaient Pulchérie Gbalet. Je lui ai dit que, s'ils la cherchaient, je ne savais pas où elle était. Quand ils m'ont vu venir, ils se sont rués sur moi. Ils étaient armés de kalachnikovs.
Les gendarmes du détachement de sécurité du Bnetd ont essayé de s'interposer, la tension est montée. Mais les hommes armés ont affirmé qu'ils étaient en mission officielle et que les gendarmes pouvaient se référer au commandant supérieur de la gendarmerie, qui savait qu'ils étaient en mission.
J'ai dit aux gendarmes de laisser faire. Ces hommes m'ont brutalement emmené, me frappant à plusieurs reprises. Ils m'ont mis une cagoule et jetés dans leur véhicule. Pendant le trajet, ils m'ont frappé et giflé. J'avais deux téléphones : un Android et un autre classique. Pendant la lutte, j'ai réussi à me débarrasser de mes téléphones. Ils voulaient à tout prix avoir mes téléphones, mais je leur ai dit que je n'en avais pas.
Nous sommes arrivés à Sébroko, mais je ne savais pas où nous étions à ce moment-là. Ils me posaient plusieurs questions à la fois, en me frappant chaque fois que je répondais. Vers 11 h, le commandant est venu et m'a annoncé : « Barbe rouge, tu n'as pas dit que tu n'avais pas de téléphone ? On vient de nous signaler que votre téléphone s'est éteint à Sébroko. » C'est là que j'ai su que j'étais à Sébroko. Je lui ai répondu : « Je ne savais pas qu'on était à Sébroko. » « Mais qui t'a dit que nous sommes à Sébroko ? » me dit-il. « Mais vous venez de le dire. Si mon téléphone s'est éteint à Sébroko, c'est que c'est vous qui avez mon téléphone », ai-je répliqué. Ils ont recommencé à me tabasser. Ses agents sont venus me dire que je voulais leur créer des problèmes. « Tu as dit au commandant qu'on a pris ton téléphone alors que tu sais que ce n'est pas vrai », se plaignaient-ils. J'ai passé trois jours à Sébroko dans un conteneur. Ils se moquaient de moi en rigolant : « Toi, barbe rouge, ici il ya des crabes poilus la nuit. Ils vont te manger cette nuit. » J'étais menotté, donc je ne pouvais rien faire.
C'est le troisième jour, lorsqu'ils m'ont enlevé la cagoule, que j'ai su que j'étais effectivement à Sébroko. Ils m'ont enlevé un jeudi et le samedi après-midi, ils m'ont enfin retiré la cagoule, lorsqu'ils ont interpellé Mme Pulchérie Gbalet.
Après trois jours à Sébroko, soit le dimanche, nous avons été transférés à la préfecture de police d'Abidjan, où nous avons encore passé trois jours. C'est là que j'ai fait ma déposition.
À la préfecture, le dimanche soir, le préfet de police d'Abidjan nous a reçus. Nous étions quatre, y compris Mme Pulchérie Gbalet. Il nous a menacés, puis ils nous ont mis en cellule. Sur-le-champ, ils ont voulu nous interroger, mais nous avons refusé parce que nous avons souhaité que nos avocats soient présents. C'est ainsi que le lundi matin, nos avocats, Me Saki Éric et Me Béné Lambert, sont venus. Ils nous ont entendus, et ils nous ont gardés lundi, mardi et mercredi 19 août, nous avons été transférés au tribunal, où nous avons été mis sous mandat de dépôt.
Je signale qu'à la préfecture de police d'Abidjan, le mardi soir, ils nous ont ramené un malade mental - fou - dans notre cellule. Je me plains au policier que, selon le droit, il n'est pas normal qu'on incarcère un homme souffrant de troubles mentaux avec des personnes saines d'esprit. Nous avons passé une nuit ensemble avec ce malade sans que les policiers ne bougent le petit doigt.
Il y avait deux jeunes hommes avec nous. L'un d'eux était grièvement blessé. Ils avaient tous les deux peurs parce que la schizophrène ne se contrôlait pas. Le soir, vers 19 h, je les ai menacés en disant que s'ils n'enlevaient pas le malade mental de notre cellule, et que si je devais être transféré, je rendrais compte et je ferai un rapport contre eux. C'est ainsi qu'aux alentours de 21 h, ils sont venus sortir ce dernier pour le mettre dans une autre cellule. »
Une ration alimentaire insuffisante face à la croissance de la population carcérale en Côte d'Ivoire
Le rapport d'enquête 2023-2024 du CNDH révèle que le budget alloué au fonctionnement des établissements pénitentiaires au cours des cinq dernières années (2018-2022) est resté constant, malgré une augmentation moyenne de 2 000 détenus par an. En conséquence, « la ration alimentaire prévue pour un détenu en 2014 est désormais partagée entre quatre détenus en 2022 ».
Le budget alloué à l'alimentation dans 33 maisons d'arrêt s'élève à un total de 1 888 669 150 FCFA. Réparti entre les 24 912 détenus de ces maisons d'arrêt, ce montant équivaut à environ 200 FCFA par jour pour l'alimentation d'un détenu. À la MACA, le plus grand établissement pénitentiaire du pays, qui accueille plus du tiers des détenus des prisons de Côte d'Ivoire, le budget alloué à la nourriture est de 423 528 000 FCFA, soit environ 120 FCFA par jour pour nourrir un détenu.
Dans ce contexte, il devient presque impossible de diversifier l'alimentation des détenus, soulignant les personnes présentes. À titre de comparaison, les dépenses alimentaires annuelle par détenu s'élèvent à 10 000 dollars USD (soit 6 076 770 FCFA) en France, et à 31 000 dollars USD (soit 18 817 000 FCFA) aux États-Unis.
Accès aux soins de santé, un luxe dans les prisons ivoiriennes
La promiscuité enregistrée dans les centres de détention favorise la prolifération de diverses maladies liées à l'insalubrité. Le rapport du CNDH recense 1 264 cas de malnutrition dans trente-trois (33) maisons d'arrêt entre février et avril 2022. De plus, 3 499 cas de maladies liées à des problèmes d'hygiène et de salubrité, telles que les mycoses, dermatoses, gale, etc., ont été enregistrés durant la même période.
Cependant, au cours des cinq dernières années, la fourniture de médicaments n'a pas pris en compte la croissance de la population carcérale dans dix-neuf (19) maisons d'arrêt, ni l'augmentation conséquente des cas de maladies. Les agents de santé signalent un décalage persistant entre les commandes de médicaments et les dotations effectivement reçues, rapporte le CNDH.
Marcelle (nom modifié), une ancienne pensionnaire de la MACA, rencontrée à Port-Bouët, décrit un profond mal-être exacerbé par des conditions de détention très précaires, caractérisées par une négligence extrême en matière de soins corporels et d'hygiène. Cela entraîne fréquemment des maladies cutanées, comme la tempête. Face à cet environnement hostile, certains détenus, selon elle, expriment des sentiments de haine et de colère, tandis que d'autres développent des stratégies de survie en recourant à des mécanismes d'auto-défense, tels que la manipulation, le mensonge, la délation ou le vol.
À titre de comparaison, la Côte d'Ivoire dispose de 0,5 médecin pour 100 détenus, tandis que les États-Unis en possèdent 7 pour 100, et la France, 3 médecins pour le même nombre de détenus.
Nous proposons à cet effet trois histogrammes pour illustrer les différences notables dans les conditions de détention et des droits des détenus entre la Côte d’Ivoire, la France et les États-Unis. (Voir les histogrammes ci-après)
(À suive...)
Patrick KROU