KORHOGO (RÉGION DU PORO) : UNE CITÉ DÉSORMAIS TOURNÉE VERS LE MODERNISME
KORHOGO (RÉGION DU PORO) : UNE CITÉ DÉSORMAIS TOURNÉE VERS LE MODERNISME
On ne vient pas dans la cité du Poro par hasard. On y est généralement amené pour satisfaire une ou des curiosités. On y est escorté en douceur par des préjugés sur une route jalonnée de châteaux féeriques de termitières géantes, par des pistes buissonnières et par une chaîne de montagnes.
Dans le paysage, jadis perlé de cases ocre en terre battue et des greniers coiffés de toitures triangulaires en paille, se trouvent des bâtis construits désormais d’une architecture moderne, aux toits ondulés au reflet métallique.
À la lisière de la savane arborée, entre plantations d’anacarde et vergers de mangue, on découvre Korhogo ou ‘’Korogo’’ ou encore ‘’Khoroko’’, qui signifie en langue sénoufo : l’héritage.
Un héritage dont chaque visiteur pourra jouir pour peu qu’il sache s’en émerveiller et s’en délecter. (Première partie !
Vue aérienne du Mont Korhogo, culminant à 567 m d'altitude.
‘’Korhogo’’ ou l’héritage de Nanguin Soro
Le Korhogo précolonial se présentait comme une agglomération sénoufo à l’architecture rustique de terre battue, constituée de cases d’habitation circulaires, de greniers et d’abris pour bétail.
Aujourd’hui, les quartiers de Korhogo sont nés de la transformation des gros villages en habitats urbains avec des commodités modernes (électricité, eau potable et centre de santé).
Nanguin Kaha est le noyau Kiembara du quartier ‘’Koko’’. Tchégolokaha, le village de Tchégolo, la sœur de Nanguin Soro, est le quartier de la dynastie de Zoukagnon.
Vous avez dit Sénoufos ou Siéna ?
Masque traditionnel sénoufo.
Les Sénoufos ou Siéna, nom qui signifie « ceux qui parlent le ‘’Séné’’ », le Sénoufo – constitue une ethnie africaine présente au Burkina Faso, dans le Sud du Mali, principalement dans la région de Sikasso et en Côte d’Ivoire, dans le Nord, autour des villes de Boundiali et de Korhogo.
C’est une communauté forte d’environ 1,5 million de membres, soit 9,7% de la population ivoirienne. Les Sénoufos sont subdivisés en plusieurs sous-groupes notamment les Pongalas dans la circonscription de Kasséré, les Niarafolos essentiellement basés dans le département de Ferkessédougou, les Tchébaras dans le département de Korhogo, puis les Tagbanas ou Tagouanas dans celui de Katiola, ainsi que les Nanfarans dans les sous-préfectures de Karakono, Napié, Komborodougou, etc. Pour finir, les Fodonons – qui dansent le Boloye appelé communément la danse de la panthère à Lataha, Kataha, Moroviné, Plagbo, etc.
Selon une anecdote antique, partis du Delta interne du Niger, autour de la ville de Mopti au Mali, à la recherche de terres arables, les Sénoufos arrivent au premier millénaire dans la région où ils résident actuellement. Protégée des invasions guerrières par le Bandama blanc, Korhogo devient la capitale des Sénoufos.
Pour la petite histoire, le tracé du chemin de fer Côte d’Ivoire-Niger devrait passer par Korhogo, sur la route de la noix de Kola. Conscient de la menace qui planerait sur son pouvoir, Gbon Coulibaly s’oppose à ce projet et obtient que la ligne du chemin de fer passe par Ferkessédougou.
Malgré cela, les transporteurs estiment que Korhogo a su devenir une importante ville carrefour. Avant l'arrivée de la junte militaire au pouvoir dans l'ex-Soudan français qui a refroidi les relations diplomatiques entre Abidjan et Bamako, le flux économique des exportations avait incité les autorités ivoiriennes à construire un port sec à Ferkessédougou.
Des camions aux charges énormes partaient de là vers les pays limitrophes à savoir le Mali, le Burkina Faso, la Guinée ou le Sud forestier de la zone centre et côtière de la Côte d’Ivoire.
Les conquêtes expansionnistes du Sud effectuées par les Akan et de l’Ouest par les Malinkés, les ont amenés à s’implanter dans l’actuel ensemble des régions du Poro et du Kabadougou (d’Odiénné à Kong).
La vague des commerçants dioula a islamisé un grand nombre de Sénoufo à la fin du siècle dernier. Beaucoup ont même pris un nom manding.
Par exemple, les ‘’Yéo’’ sont l’équivalent des noms patronymiques ‘’Ouattara’’ et les ‘’Soro’’. Ils restent cependant proches de la tradition animiste et l’initiation au Poro demeure une étape sociale irréversible. La société traditionnelle sénoufo est constituée d’une pléthore de villages qui sont gouvernés par un conseil des anciens.
Après avoir soufflé sa 7e bougie, tout enfant sénoufo devrait être initié et éduqué. La théologie de ce peuple est basée sur la croyance en ‘’Koulotiolo’’ – dieu puissant et ‘’Katielo’’ – déesse-mère.
Les rituels initiatiques, dont le Poro est le plus important, jouent un rôle déterminant dans l’acquisition de la personnalité juridique, donc sujet de droit dans la société traditionnelle sénoufo.
Le Poro ou l’acquisition de la personnalité juridique dans la société traditionnelle sénoufo
Des initiés dans un bois sacré lors d'une séance de formation au Poro. Ce masque est propre à la région du Tchologo.
Selon la conception Sénoufo, l’être humain est à sa naissance dans un état de méchanceté et le Poro lui est dispensé afin de le faire passer de l’état de cruauté primitive à celui d’homme – homme socialement bon. « La société corrompt, le Poro socialise », dixit un adage sénoufo.
Le Poro est un rituel qui nécessite beaucoup de temps voire toute une vie. C’est la phase d’imprégnation sociale dans les us et costumes sénoufo. L’initiation au Poro se déroule en trois (3) étapes de sept ans. Tous les jeunes garçons prennent part à l’initiation dès l’âge de sept ans.
Le ‘’Kouord’’ a lieu pendant la période d’adolescence. L’initié a alors à charge certaines corvées et apprend certains mots essentiels. Il apprend également les rudiments de la vie communautaire. Toute l’étape de l’initiation se déroule à l’extérieur du village dans un sanctuaire - le ‘’bois sacré’’.
Les jeunes y font ainsi périodiquement des retraites d’un mois environ. L’initiation au Poro est un droit à l’éducation culturelle en pays Sénoufo.
Au crépuscule, il n’est pas rare de voir, carquois en bandoulière, des jeunes torses nus, vêtus de jungle calbars en pagne tissé à la Tarzan ou accoutrés de manière extravagante munis d’instruments de musique traditionnels ainsi que d’arcs, de lances et de fouets ou autres chicotes à la main, marmonner des paroles abracadabrantes, marchant à la queue leu leu et qui n’hésitent pas à sortir du rang, pour se ruer sur des jeunes filles ou des dames.
Assises incognito le long des routes, mais en alerte maximale, ces dernières ne se laissent pas surprendre. Tel un animal sentant un prédateur rôder, elles regagnent leurs domiciles sans se faire prier, au risque de voir des centaines de coups de fouets pleuvoir sur elles.
Elles sont pourchassées lorsqu’elles sont sur leur voie ou si des masques interdits d’être vus par des profanes se trouvent dans la délégation des initiés au Poro.
Toutefois, s’il s’agit de néophytes ordinaires, les femmes les regardent sans représailles. Les femmes, quant à elles, peuvent être initiées à la première étape du Poro ; après quoi, elles ont l’obligation de se marier et sont autorisées à continuer l’initiation après la ménopause.
Le Poro (et ses cycles de formation) marque profondément la vie et les rapports des villageois avec les voisins, les visiteurs, la terre et la nature.
(À suivre...)
Patrick KROU, envoyé spécial dans la cité du Poro.